Pourquoi le sentiment « anti-français » gagne-t-il de plus en plus d’ampleur en Afrique de l’Ouest ?

Thierno SIDI BA

Depuis 2011, des mouvements anti-français se multiplient en Afrique. Des jeunes, issusd’organismes citoyens comme « Frapp France dégage » au Sénégal ou l’ONG Urgences Panafricanistes, se mobilisent contre le néocolonialisme français.

L’Afrique de l’Ouest entretient une relation historique avec la France. Nombre de pays y ont été sous domination coloniale française dès la moitié du XIXe siècle. Après les indépendances, ces liens se sont recomposés autour de coopérations entre la France et ces différents pays : accords de défense avec le programme RECAMP (Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix), les APE (Accord de Partenariat Économique) ou diverses aides au développement.

La présence de l’hexagone est également économique. Les multinationales et entreprises françaises occupent une grande place dans le marché ouest africain et la France est le troisième investisseur mondial en Afrique pour un chiffre d’affaires s’élevant à 1,8 milliards d’euros.

Une mauvaise presse auprès de l’opinion publique

Pourtant, près de 60 ans après les indépendances, cette présence massive de la France fait débat. Une enquête réalisée par l’institut sud-africain Ichikowitz Family Foundation et publiée par l’hebdomadaire Jeune Afrique en décembre 2020 montre que près de 71% des Gabonais, 68% des Sénégalais, 60% des Maliens et 58% des Togolais ont une mauvaise opinion de la France. Le sentiment anti-français, qui jusqu’à présent s’opérait sur les plateaux de télévision ou sur les réseaux sociaux, gagne aujourd’hui les rues.

L’ingérence de la France dans les affaires internes de ces pays se trouve au centre des revendications parmi lesquelles, des mobilisations contre le FCFA, «Franc des Colonies Françaises d’Afrique » la présence militaire française ou encore des manifestations contre certains pouvoirs en place. Les soupçons d’implication – directs ou indirects – dans de nombreux conflits en Afrique favorisent une perte de crédibilité de la France et expliquent la mauvaise opinion à l’égard de l’hexagone en Afrique. La liste est longue : il y a le génocide rwandais, l’assassinat du burkinabé Thomas Sankara ou celui du colonel Kadhafi mais également les conflits au Mali et en Côte d’Ivoire.

La France est également contestée sur le plan politique en raison de son ingérence dans les affaires internes de certains pays. Elle est soupçonnée de lobbying dans de nombreuses élections ainsi que dans le maintien ou la liquidation de certains gouvernements. On lui reproche également ses relations avec certains présidents comme Macky Sall au Sénégal ou Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire.

Par ailleurs, le renversement d’Alpha Condé, ancien président de la Guinée et la chute d’Ibrahima Boubacar Keita à la suite d’un coup d’État militaire au Mali complexifient les relations entre la France et l’Afrique.

Le FCFA, un outil de l’impérialisme monétaire ?

À cela, s’ajoute la question de la monnaie. Le « Franc des Colonies Françaises d’Afrique » (FCFA), hérité de la colonisation française, est encore en circulation dans quatorze États africains.

Le FCFA a été rebaptisé « Franc de la communauté financière africaine » mais il demeure, au regard de bon nombre d’intellectuels et d’économistes, un symbole de la France-Afrique qui pose question quant à la souveraineté des États africains. Selon les « anti-FCFA », la monnaie est principalement gérée et garantie par le Trésor français, ce qui prive ces jeunes États d’un pouvoir monétaire souverain et fragilise les économies de la région.

Une présence militaire qui agace

La présence militaire de l’ancienne colonie est également remise en question. Dans de nombreux pays où l’armée française est présente, les populations autochtones réclament son départ, que ce soit au Mali en 2021 ou, plus récemment, au Burkina Faso. Ainsi, en novembre 2021, une foule de manifestants a barré la route au passage du convoi militaire français.

Depuis 2013, l’armée française intervient dans le cadre de l’opération « barkhane » pour lutter contre le djihadisme au Sahel. Mais les retombées de cette intervention peinent à convaincre : après 8 ans de conflit, les djihadistes continuent à semer le trouble et, depuis 2015, on note une recrudescence des attentats. Le Mali tourne progressivement le dos à la France et s’allie avec les troupes militaires russes, comme le « groupe Wagner », qui a déjà déposé son arsenal de guerre sur le sol malien.

Quel avenir pour les relations entre la France et l’Afrique de l’Ouest ?

Aujourd’hui, d’autres États comme la Chine, la Turquie ou la Russie gagnent du terrain en Afrique de l’Ouest et tentent de nouer des partenariats à la fois politiques, militaires et économiques.

Conscient des enjeux qui se jouent à l’aube de la multiplication des mouvements antifrançais, le président Emmanuel Macron a réuni, le 8 novembre dernier à Montpellier, des jeunes africains acteurs de la société civile pour débattre de « l’Afrique-France », et cela, en l’absence des chefs d’Etat africains.

Pour la France comme pour beaucoup de jeunes, l’enjeu est de redynamiser et redéfinir les relations entre la France et l’Afrique, élaborer des partenariats portés sur l’innovation, l’entrepreneuriat, l’engagement citoyen ainsi que sur la recherche. Ce sommet dessinera-t-il un nouveau point de départ pour la relation entre la Métropole et l’Afrique de l’Ouest ? En tout état de cause, il constitue une piste à consolider pour l’avenir.