Même président, nouveau pays : quel Brésil pour Lula en 2023 ?

Élu à la présidence pour la troisième fois, Luiz Inacio Lula da Silva revient au pouvoir plus de dix ans après son dernier mandat. Mais le Brésil a beaucoup changé…

Luiz Inacio Lula da Silva est le nouveau président du Brésil. Élu avec 50,90% des votes valides – moins de 2% de différence avec le pourcentage de Jair Messias Bolsonaro, qui a obtenu 49,10% – le démocrate accède au pouvoir pour la troisième fois. Cependant, le Brésil auquel Lula est confronté en 2023 est très différent de celui de sa première victoire en 2003. et l’une des preuves de ce changement est précisément la structure du vote.

Au second tour des élections présidentielles brésiliennes, plus de 20 % de l’électorat a choisi d’annuler son vote au lieu de se décider entre un candidat et un autre. Ce chiffre n’est que la pointe de l’iceberg, mais il est déjà un signe de l’actuel scénario extrêmement divisé du Brésil. Si une partie du pays attendait avec impatience le retour au pouvoir de Lula, une autre partie est désespérée par la possibilité que le pays se dirige vers un communisme extrême. En effet, tout comme aux États-Unis, le Brésil a été inondé de fake news. Ce qui a commencé en 2015 s’est intensifié, et a été extrêmement présent lors des élections présidentielles de 2018. Selon une étude menée par Avaaz, un réseau de mobilisation sociale mondiale par Internet, 98 % des électeurs de Bolsonaro ont été exposés à des fake news et 90 % de ses électeurs y ont cru.

La fin de la famille traditionnelle et religieuse, les cours de sexualité pour les bébés, l’encouragement au lesbianisme et à l’homoérotisme, les cambriolages, les immigrants qui mettraient fin aux emplois de la population brésilienne… Ce sont quelques- unes des menaces diffusées de manière massives dans les différents groupes WhatsApp dirigés par la famille Bolsonaro et ses partisans. Aussi fantaisistes qu’elles puissent paraître, ces menaces ont poussé des millions de Brésiliens à céder aux sirènes du nationalisme et de l’extrémisme.

La pandémie, un tournant dans la diffusion des idées extrémistes

Pour le sociologue Lucas Caetano, la pandémie a joué un rôle d’accélérateur dans la raidcalisation des bolsonaristes et dans la diffusion des fake news. Graduellement, le slogan « Le Brésil avant tout, Dieu avant tout » a proliféré, ainsi que les campagnes de dénigrement. Une partie de la société s’est retournée contre la démocratie, les médias, la science et tout ce qui pouvait contredire leurs croyances. Ils se sont enfermés dans des groupes virtuels où ils étaient quotidiennement inondés de fake news, et en sont venus à ne croire que ce qui venait de cette bulle. Le résultat a été non seulement les manifestations qui ont suivi l’élection, appelant à une intervention militaire pour « débarrasser le pays du communisme », mais aussi à l’attaque des bâtiments des Trois Pouvoirs, qui a eu pour conséquence la destruction d’inestimables trésors hostoriques brésiliens. Au-delà de la difficulté de gouverner une société divisée, Natalia Passarinho, journaliste multimédia à la BBC, cite d’autres défis auxquels Lula devra faire face durant son mandat : « équilibrer le budget et gagner le soutien du Congrès sont deux des obstacles auxquels le président devra se confronter ». En outre, il devra gérer l’un des héritages du gouvernement Bolsonaro : la présence des militaires dans la politique.

Le scénario n’est certainement pas le même qu’en 2010. Au cours des quatre prochaines années, nous devrons attendre pour découvrir comment ce moment complexe aura un impact sur le troisième mandat de Lula.


Lucas Caetano, docteur en sociologie et chercheur à l’Institut Jumppi, nous aide à comprendre les changements dans la société brésilienne au cours de la dernière décade.

Au Brésil, il y a toujours eu cette division entre partis politiques. Mais aucune ne s’est terminée par un acte violent comme l’attaque des Trois Pouvoirs [où les sympathisants du bolsonarisme ont envahi le bâtiment du gouvernement, dégradant des œuvres d’art et la structure architecturale elle-même]. Comment expliquez-vous l’intensification de la polarité dans la société brésilienne ?

numériques sont parmi les principaux responsables de la radicalisation des positions politiques. Ce que j’observe, c’est qu’une partie de la population se méfie des médias traditionnels, alors que tout un dispositif de diffusion de faux contenus, de factices et de décontextualisation des données a été mis en place pour générer des paniques morales. Une caractéristique intéressante est que ce mouvement a fini par frapper surtout les personnes âgées et celles qui voient leur position de domination menacée, comme les hommes blancs et hétérosexuels.

En tant que société, qu’est-ce qui distingue le Brésil d’aujourdh’ui par rapport à celui du premier mandat de Lula ?

En termes d’indicateurs sociaux, le Brésil a connu quelques améliorations. Toutefois, je pense que le contexte actuel est plus complexe. La question environnementale est plus urgente qu’il y a 20 ans. Il n’y avait pas cette alliance de l’extrême droite internationale. Nous vivions dans un pays moins sensible aux paniques morales. Malgré cela, nous devons dire que la société brésilienne a toujours été conservatrice et, sous certains aspects, assez réactionnaire. Je crois que ces caractéristiques ont pu être accentuées.

En tant qu’analyste de la société, pensez- vous qu’il y a eu un réel changement dans les relations humaines entre le Brésil de 2010 et celui de 2023 ?

Je crois que oui. Mais pour moi, le grand tournant, c’est la pandémie. Jusqu’en 2020, nous étions dans un processus progressif d’immersion dans le monde numérique. Cela s’est accéléré de manière exponentielle avec la pandémie, puisque toutes les relations sociales sont devenues médiatisées par le numérique. J’étudie les adolescents et je réalise que ce fait a eu des conséquences importantes sur la façon dont ils se rapportent les uns aux autres et construisent leur identité.