Pourquoi continue-t-on à faire des COP ?

Alors que la COP27 s’est achevée il y a quelques semaines en Égypte, les premières informations à propos de la COP28 sont tombées. Les divers choix annoncés questionnent et font polémiques. Est-ce que les COP servent vraiment à quelque chose ?

Depuis 1995, les Conférences des Nations Unies pour le Climat sont le grand rassemblement des États du monde pour échanger sur les changements climatiques. Véritables événements géopolitiques, près de 200 pays s’y réunissent annuellement. Ces échanges sont divisés en trois volets : les négociations internationales autours de textes, la foire au climat pour évoquer ce qui a été fait ou ce qui est en train de se faire et la partie société- civile pour y manifester les besoins actuels. Pour balayer en profondeur ces trois volets, de nombreux groupes d’acteurs sont rassemblés, allant des négociateurs et gouvernants des pays aux scientifiques, en passant par des chercheurs et experts ou encore des associations d’environnement et de développement.

Malgré l’apparent sérieux de ces conférences, force est de constater que l’engouement autour de ces dernières n’est plus aussi important. Si la COP3 à Kyoto en 1997 ou bien même la COP21 et son Accord de Paris en 2015 ont suscité de l’espoir, les dernières éditions semblent se réduire à de simples constats des désillusions.

D’amères plaisanteries ?

C’est avec humour noir et second degré que militants écologistes et médias accueillent les informations quant à l’organisation de la COP28. “Si le pompier pyromane peut sembler un mythe, l’ultra-pollueur chargé de lutter contre le dérèglement climatique est en passe de devenir réalité aux Émirats Arabes Unis” écrit Julien Lecot le 6 janvier dans les colonnes de Libération. Les partis pris concernant les pays hôtes et les partenaires choisis pour ces Conférences des Nations Unies pour le climat semblent toujours plus lunaires : exemple avec Coca-Cola, l’un des plus gros pollueurs du monde en matière de plastique, et sponsor de la COP27. Alors que la présidence de la COP28 par Sultan Ahmed al-Jaber, PDG de la compagnie pétrolière des Émirats Arabes Unis, est confirmée, le lieu même de cette COP28 pose également problème, quand on sait que les Émirats Arabes Unis font partie des cinq plus gros émetteurs de CO2 par habitant de la planète. Cet État dépend notamment encore massivement de la production de pétrole et de gaz. N’assistons-nous pas ici à une contradiction absurde entre la cause même de la Conférence des Nations Unies pour le climat et les aspirations de Sultan Ahmed al-Jaber à “investir 600 milliards de dollars tous les ans dans le pétrole jusqu’en 2030, pour satisfaire la demande mondiale attendue ».

Mais les Émirats Arabes Unis ne sont pas les premiers à être pointés du doigt (et ne seront sûrement pas les derniers). On peut rappeler qu’après l’Accord de Paris acté en 2015 lors de la COP21, la France a été condamnée plusieurs fois pour non-respect de ses engagements climatiques. Sa dernière condamnation date d’octobre 2022 pour le non-respect des seuils limites de dioxyde d’azote et de particules fines dans 13 zones du pays. Ainsi, le rôle moteur de la France et sa responsabilité historique liée à l’Accord de Paris semblent dérisoires quand on voit qu’encore aujourd’hui, l’empreinte carbone par habitant est largement plus élevée que la moyenne mondiale. On observe alors que les ambitions prises lors de ces COP ne sont pas suivies d’actions par les pays concernés, ce qui explique ainsi la perte de crédibilité de ces dernières. Face à ces constats, il n’est pas étonnant que les COP n’inspirent plus que désillusion et rancœur dans la société civile, alors que les enjeux climatiques et environnementaux deviennent de plus en plus primordiaux pour l’avenir. Après l’accélération fulgurante des catastrophes naturelles au cours des dernières années, comment faire bouger les lignes quand les acteurs même de l’accélération du réchauffement climatique se retrouvent à la présidence ou en sponsor d’une conférence internationale sur le climat ?

Des COP pas si inutiles ?

Malgré la longue liste de reproches qui peuvent être fait aux COP, certains essayent quand même de garder une lueur d’espoir. Force est de constater qu’une avancée majeure est à retenir de la COP27 : un accord pour aider financièrement les pays les plus touchés par les conséquences du réchauffement climatique. Ce dernier a pour but de réduire l’injustice climatique qui prend de plus en plus de place entre les pays dits développés et les pays en développement. Si cet engagement financier est respecté, on assistera alors à une première grande victoire de justice climatique et on pourrait finalement se dire que les COP peuvent être utiles – même juste un peu. Si les États parviennent à régler cette dette climatique, les pays les plus vulnérables parviendront à sortir d’un cercle vicieux qui les voient contraints d’emprunter aux pays développés pour les dédommagements liés aux changements climatiques.

On le voit bien, tout n’est pas à jeter avec les COP. Peut-être faudrait-il simplement modifier notre regard à leur sujet ? C’est ce que nous invite à faire Alice Munoz-Guipouy, étudiante en géopolitique environnementale, qui a compris qu’il faut cesser d’attendre des COP ce pour quoi elles ne sont pas faites. Selon elle, on assiste à une décrédibilisation des COP parce qu’on fait croire aux gens l’impossible. Ces conférences respectent leur fonction dans le sens où elles sont des lieux de dialogue. Le champ d’action devrait, ensuite, se faire à l’échelle des États et des continents. Ce serait aux pays d’honorer leurs engagements pris lors de ces COP – ce qu’ils ne font pas toujours, nous l’avons vu. La faute ne serait alors pas à remettre sur la COP, mais sur les pays et dirigeants internationaux.

Avant d’arriver à la COP 128…

La solution serait donc de changer notre fusil d’épaule, et de prendre les COP uniquement pour ce qu’elles sont : des lieux de négociation, et non pas d’action. Cette action, elle, doit se faire ailleurs. Mais c’est quoi, cet ailleurs ? À première vue, on pourrait attendre des États qu’ils prennent les rênes et mettent en place des actions à la suite des négociations de la COP. Mais si les grandes évolutions sociétales nous ont bien appris une chose, c’est que la traduction politique est souvent la fin du travail. La politique ne peut pas remplacer la société civile : les grandes avancées sur le climat s’effectueront une fois que les sociétés seront prêtes à l’accepter, et qu’elles se seront mobilisées pour un changement global.


Issue d’une classe préparatoire littéraire, Alice est aujourd’hui étudiante en Master Géopolitique à Science Po Paris. C’est l’an dernier, lors de son cursus à l’École Normale Supérieure, qu’elle a été sélectionnée pour être observatrice des négociations lors de la COP27 à Charm el Cheikh en Égypte, avec 7 autres étudiants.

Comment résumez-vous votre expérience en tant qu’observatrice de la COP27 ?

Pour moi, il y aura un avant et un après COP27. D’abord d’un point de vue personnel : j’ai compris qu’il faut cesser d’attendre des COP ce pour quoi elles ne sont pas faites. Elles respectent leur mandat dans le sens où ce sont des conférences de négociation. Ensuite, pour la mise en place des actions, ça doit se faire à l’échelle des continents et des pays. Et puis, ça reste quand même incroyable de voir que tous les délégués des pays se retrouvent en pleine guerre entre la Russie et l’Ukraine, avec encore de fortes tensions entre les États-Unis et la Russie ! Et, à grande échelle, je pense que cette COP27 a aussi été très importante, malgré ce qu’on peut en dire. C’est la première fois en 27 éditions que la question des pertes et préjudices a été inscrite à l’agenda. Depuis des années, derrière les beaux discours, les États pollueurs ne tombaient jamais d’accord : le sujet a enfin été posé sur la table.

Depuis quelques années, le choix des pays hôtes, partenaires ou présidents font polémique. Selon vous, est-ce que ces derniers ont un impact réel sur la COP ?

Je pense que ces éléments, s’ils ne peuvent pas changer l’issue des COP, ont à minima une influence certaine sur ces dernières, notamment parce que c’est la présidence qui fixe les sujets à l’agenda. Par exemple, si la question des pertes et préjudices a pu être abordée en novembre, c’est notamment parce que le pays hôte était l’Égypte. De plus, il ne faut pas oublier la dimension logistique : pour se rendre à la COP, on a besoin d’accréditations, d’un hôtel, de transports, etc. Cela s’est d’ailleurs manifesté à la COP27 : il y avait une meilleure représentation des pays africains parce qu’il était logistiquement plus facile pour eux de s’y rendre. On peut aussi remarquer certaines tentatives de rapports de force en fonction des pays hôtes. Par exemple, l’Égypte a reçu beaucoup de pression de la part du G77, qui l’a pris comme porte-parole. Il ne faut pas oublier que la COP est un sommet mondial. Être pays hôte, c’est exister sur la scène internationale et diplomatique. Finalement, on se fiche du texte qu’on va défendre lors de la COP, le plus important c’est de recevoir les dirigeants de la quasi-totalité des pays du monde. Pour l’Égypte par exemple, après 10 ans de guerre civile, c’était une opportunité incroyable. Il ne faut pas non plus oublier que les événements internationaux de cette ampleur ne sont pas si nombreux. En France, on a le G20, G7, etc, mais certains pays n’y sont pas conviés. La COP leur permet aussi d’y faire des revendications qu’ils ne peuvent faire nul part ailleurs.

Que serait une COP réussie selon vous ?

Pour moi, une bonne COP sera une COP qui arrivera à dire noir sur blanc qu’il faut sortir des énergies fossiles. Qui arrivera à identifier clairement que les énergies fossiles sont la raison du changement climatique. Pour le moment, on n’y arrive pas, on contourne le problème dans les actions et les financements. Encore une fois, les COP sont pertinentes pour poser les grands objectifs et laisser ensuite aux pays les moyens pour agir. Sortir des énergies fossiles, c’est un objectif plus que nécessaire. Après, il faut reconnaître que c’est une question souveraine et difficile : la transition fossile de la planète entière sera une mission monstrueuse. On voit déjà en France les dégâts qu’elle peut faire dans de petits territoires, qui se retrouvent mutilés dans leurs paysages et leur patrimoine. Il va falloir mettre le paquet sur les modèles de substitution.`