Zélie DALLEMAGNE
Trois lettres, pour un pronom non-genré, voilà les responsables d’une polémique récente qui relance le débat autour de l’écriture inclusive. Au mois de novembre dernier, l’ajout du pronom « iel » dans l’édition en ligne du Robert a créé un tollé médiatique et de vives réactions de la part de la classe politique.
La bataille contre cette évolution linguistique a été initiée par le député LREM François Jolivet et le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer qui dénoncent conjointement « un stigmate de l’affirmation de la culture woke ». En réponse à cette contestation, le directeur général des éditions Le Robert, Charles Bimbenet explique que le rôle du dictionnaire est de « définir les mots qui disent le monde » dans le but « d’aider à mieux le comprendre ». Le Robert considère le dictionnaire comme un ressource pour les francophones quand Jean-Michel Blanquer évoque une « inventivité ».
Ce dernier a défendu sur Twitter l’idée selon laquelle « l’écriture inclusive n’est pas l’avenir de la langue française » ce qui est à mettre en perspective car il apparait de manière logique que l’avenir d’une langue réside dans son usage. Au sein du gouvernement, Élisabeth Moreno, ministre chargée de l’égalité hommes-femmes valide l’usage de ce pronom si certaines personnes témoignent la nécessité de l’employer. Il apparait assez lisible que les différentes prises de position résument des positionnements politiques plus larges dès lors que les membres de la classe politique montent au crédo comme ici. Afin de comprendre les enjeux d’un tel débat il est essentiel de considérer la période de structuration académique de la langue française.
Comprendre le caractère politique de l’écriture inclusive par son histoire
Le français tire sa source du latin qui possède trois genres : le masculin, le féminin et le neutre. Au Moyen-Âge, encore, nombre de textes font état du double usage du masculin et du féminin. Cela s’explique par le fait que la langue française n’avait pas encore été fixée par une institution encadrante. Pour unifier un territoire en pleine expansion, la royauté décide d’homogénéiser la langue : d’abord, avec la fameuse ordonnance de Villers-Côtteret en 1539, qui donne la primauté au français dans tous les documents administratifs et en fait la langue officielle et, ensuite avec la création de l’Académie française qui intervient en 1635. L’ascendant du masculin sur le féminin comme genre neutre peine à s’affirmer dans l’usage oral et prend le dessus pour des raisons politiques. Prenons l’exemple de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, le terme au masculin a été retenu pour des raisons profondément sexistes. L’Assemblée nationale de l’époque a considéré que malgré le rôle déterminant des femmes pendant la Révolution française, celles-ci n’étaient pas leurs égales à cause d’un prétendu manque d’intelligence. Il est, face à cela, compliqué de défendre la position d’un masculin neutre qui aurait toujours existé sans aucune volonté politique et/ou sexiste. À la fin du XIXe siècle, de nombreuses moqueries et dénigrements sont énoncés à l’égard de la féminisation des noms de professions. Cela coïncide parfaitement avec l’accession des femmes aux études universitaires et donc, par extension, à des professions prestigieuses. La langue et ses évolutions rencontrent frontalement à ce moment-là, les idéaux politiques d’hommes soucieux de ne pas perdre leur place dans les lieux de pouvoir.
La polémique relancée
Deux controverses ont remis l’écriture inclusive au centre de l’agenda médiatique français, en 2017. D’abord, un article du Figaro qui dénonce l’utilisation de l’écriture inclusive dans un manuel scolaire de chez Hachette. Il titre son article en parlant d’un : « manuel scolaire à la sauce féministe ». La maison d’édition se défend en se justifiant d’avoir suivi les recommandations du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. Cette polémique met en exergue le combat politique qui fait rage en matière d’écriture inclusive. En novembre 2021, l’apparition du terme « woke » pour désigner le fait d’être conscient des injustices subies par certains groupes sociaux réaffirme la dimension politique du positionnement vis-à-vis de l’écriture inclusive. Face à ce manuel on observe une levée de bouclier, notamment de la part du mouvement de la Manif pour tous, qui dénoncent une destruction de la langue de la part de « pédagogos » qui tentent « des expériences sur nos enfants ». Ils affirment que « nos enfants ne sont pas des cobayes ! ».
Le débat est ensuite relancé par un manifeste signé par 314 enseignant.e.s qui déclarent sur slate.fr : « Nous n’enseignerons plus que le masculin l’emporte sur le féminin ». Les signataires participent activement à le diffuser en apparaissant dans les médias. Ces controversent éclatent après 10 ans de légitimation institutionnelle des combats féministes et LGBTQI, dans le sillage du mouvement #MeToo et des mobilisations féministes planétaires de 2015. Les fervents défenseurs du patriarcat paniquent et le font savoir. Ainsi, les prises de position contre l’écriture inclusive recoupent largement les positionnements politiques anti-progressistes qui affirment leurs idées contre « les dangers du wokisme ».
Depuis quelques années Jean-Michel Blanquer, en a d’ailleurs fait sa bataille personnelle et dénonce fréquemment les possibles dérives assimilées au wokisme. Mais comment l’écriture inclusive est-elle devenue un sujet politique en soi ?
Qu’est-ce que l’écriture inclusive ? Apparue dans les années 1980, l’écriture inclusive est impulsée par les mouvements féministes. Une commission des noms de métiers et de fonctions est créée en 1984 sous la présidence de Benoite Groult. Le 11 mars 1986, le travail de cette commission aboutit à une circulaire qui projette d’imposer la féminisation des noms de métiers, de fonctions, de titres et des grades dans les documents de l’administration. Une première polémique éclate au sein de l’Académie française qui se positionne fermement contre ces évolutions Appelée aussi langage épicène, rédaction épicène, rédaction non-sexiste, parité linguistique, langage neutre, langage ouvert, langage non sexiste ou dégenré, l’écriture inclusive désigne un ensemble de règles et de pratiques qui cherchent à éviter les discriminations sexistes dans l’écriture et le langage. Elle répond ainsi au double objectif de ne plus invisibiliser les formes féminines et de neutraliser la binarité de genre. En français, l’écriture inclusive existe sous deux formes : la pratique du double genrage, où l’on retrouve le masculin et le féminin dans la même phrase « citoyens et citoyennes » ou l’usage du point médian « citoyen∙ne∙s ».
Un combat politique
Sur le site du ministère de l’Éducation nationale, une tribune rédigée par Hélène Carrère d’Encausse tente de déporter le débat pour démontrer le manque d’impact de l’écriture inclusive dans les luttes féministes. Elle juge que les combats contre les violences conjugales, les disparités salariales ou encore les phénomènes de harcèlement sont plus importants pour défendre une société d’égalité en matière de genre. Ces affirmations peuvent être contestées.
Ainsi, si la langue elle-même apprend aux enfants que le masculin l’emporte sans aucune négociation possible, sur le féminin, il n’est pas surprenant d’évoluer ensuite dans une société complice de ce type de violences, disparités et phénomènes. Cette affirmation structure un imaginaire social plus global, qui témoigne d’une faveur accordée à l’idée d’une domination des hommes sur les femmes. Dans ce positionnement toujours, elle condamne fermement les défenseur.seu.s de l’écriture inclusive qui, selon elle, « violentent les rythmes d’évolution du langage selon une injonction brutale, arbitraire et non concertée ». La violence de cette réaction témoigne d’un positionnement qui dénonce une évolution de la langue par l’usage, ce qui est par définition un non-sens. Le gouvernement adopte aussi une position pernicieuse. Il affirme que le français est déjà une langue complexe à maîtriser et défend l’idée que l’écriture inclusive ne rendrait cet apprentissage que plus compliqué. Jean-Michel Blanquer et l’Académie française évoquent ici l’usage du point médian. Or, celui-ci n’est pas la seule manière d’adopter une écriture non sexiste. Il existe également le double genrage qui est d’ores et déjà utilisé dans les communications gouvernementales. Lorsqu’il commence ses discours par la formule « Françaises, Français » ou utilise « celles et ceux » ou « chacune, chacun » Emmanuel Macron utilise une expression non-genrée.