Ophélie ALEVEQUE
Le 5 octobre 2021, la jeune Dinah est retrouvée pendue dans sa chambre après plus de deux ans de harcèlement scolaire, devenant ainsi la 19e enfant suicidée en France de l’année 2021. Le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les 15-25 ans et les tentatives de suicide dues au harcèlement scolaire sont en augmentation. Le 1er décembre, face à ce constat, l’Assemblée nationale a voté la création d’un délit de harcèlement scolaire. Jusque-là, condamné sous le chef du harcèlement moral, il est désormais passible de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende s’il cause une incapacité de travail de huit jours ou moins.
Quand parle-t-on de harcèlement ? Trois critères sont nécessaires : intentionnalité, répétition et relation d’emprise. Ils doivent être présents simultanément.
Où en est-on dans la lutte contre le harcèlement scolaire ?
Sylvie, infirmière scolaire, intervient dans le cadre de ses missions auprès des élèves de primaires et des collégiens. Lorsqu’elle est entrée en poste, il y a 16 ans, la problématique du harcèlement n’était pas abordée. Aujourd’hui, il est impossible de passer à côté : « avec l’assistante sociale, nous allons chaque année présenter le service médico-social aux élèves de 6e. On passe une heure à parler des rôles de chacun et l’on évoque les lieux où l’on peut venir parler de divers problèmes, dont le harcèlement. On explique aussi qu’ils peuvent se confier à n’importe quel adulte avec qui ils ont noué une relation de confiance : un professeur, un surveillant, un agent de service… Peu importe du moment que la personne fait suivre l’information ».
Des mesures préventives
Dans le cadre du CESC (Comité d’Éducation à la Santé et à la Citoyenneté), des dispositifs de prévention sont mises en place pour les niveaux du second degré (collège et lycée). Il vise à comprendre les besoins des élèves afin de mettre en place des mesures telles que des interventions ciblées dans les classes avec des professionnels de la question.
Lorsque les actes de prévention n’ont pas permis de l’empêcher, plusieurs mesures sont prises par le chef de l’établissement scolaire, «cela peut aller de l’exclusion temporaire ou définitive, au conseil de discipline. L’évaluation de la gravité dépend du type de harcèlement : moqueries, harcèlement en groupe, sur internet… » nous indique Sylvie.
Lorsque les faits sont jugés très graves, l’établissement conseille aux parents de porter plainte afin de faire appliquer la législation en rigueur. En effet, d’après l’étude de 2020 par l’IFOP (Institut français d’opinion publique) pour l’association Marion Fraisse, La main tendue et la région Île-de-France, dans 9 cas sur 10 les harceleurs sont des élèves de l’établissement.
À la demande du personnel éducatif, des cellules anti-harcèlement peuvent être convoquées. Elles sont composées de policiers ou gendarmes qui interviennent comme « correspondant sécurité-école ». Ces cellules poursuivent un double objectif : prévenir le harcèlement ou agir, si celui-ci est avéré. Les classes de collèges et lycées sont en majeure partie concernées, mais il arrive que des demandes soient formulées pour les élèves des classes de primaires. L’étude de l’IFOP nous apprend que « les brimades se déroulent majoritairement au collège (54 %) et plus rarement à l’école primaire (23 %) et au lycée (13 %) ».
Des profils de victimes ?
Toujours selon l’étude de l’IFOP, le sexe n’est pas une variable suffisamment distinctive pour établir un profil de victime. En effet, 39 % des garçons sont concernés contre 42 % des filles. Cependant, les filles sont plus concernées par les violences verbales, dites indirectes, tandis que les garçons par les violences physiques, dites directes. Sylvie ne peut qu’approuver les résultats de cette étude : « d’expérience, j’ai entendu des filles souffrir de mise à l’écart. Du jour au lendemain, un groupe de copines pourtant très liées va se liguer contre une des filles. […]. Le groupe ne lui adresse plus la parole ou alors de façon dédaigneuse. C’est une forme de harcèlement assez violente pour cette fille qui ne comprend pas ».
Maxime, 25 ans, ancienne victime de harcèlement, témoigne également de cette différence : « au collège, c’était par un groupe de garçons qui se moquaient de mon poids en me donnant des surnoms comme “bouboule” et au lycée par un groupe de trois filles. Avec elles, je subissais des moqueries, des détournements de photos, des chansons… ».
Même s’il n’y a pas de raison de harceler quelqu’un, il existe cependant une dynamique de groupe évoquée par la pédopsychiatre Nicole Catheline dans Le harcèlement scolaire : lorsqu’un individu s’éloigne «des valeurs portées par le groupe» il en est exclu, mais aussi que « chez sa victime, le harceleur reconnaît une faille qu’il ne veut pas voir chez lui. Tous deux ont de nombreux points communs ».
La frontière entre amitié et harcèlement peut d’ailleurs s’avérer très fine comme nous l’explique Maxime : « quand on subit ça, on ne se rend pas forcément compte que c’est du harcèlement. Je voyais plus ça comme de la franche camaraderie, une amitié entre garçons ». Ce processus est le résultat d’une banalisation et minimisation de la violence entre enfants et particulièrement entre garçons. Sylvie rejoint les propos de Maxime et déclare que « souvent, les harceleurs n’ont pas l’impression de faire du mal, ils disent que c’est pour rire. Ils n’ont pas la notion de gravité et pensent que la victime en fait trop. L’entourage du harceleur, ceux qui rigolent et profitent du spectacle entretiennent ce sentiment ».
De graves conséquences
« À certains moments, j’ai eu envie d’arrêter, mais je ne pouvais pas arrêter le lycée comme ça. Alors j’ai serré les dents et j’ai fait comme si tout allait bien, comme si je n’entendais rien », nous confie Maxime. Les conséquences du harcèlement peuvent toutefois perdurer de nombreuses années après les faits. L’étude révèle que les séquelles résultantes d’un harcèlement scolaire concernent 14 % de l’ensemble de la population. Ces chiffres dépendent de la durée et de la nature du harcèlement. Plus le harcèlement est long, plus la victime garde des séquelles psychologiques. Le taux s’élève alors à 16 % pour un harcèlement de plus de trois mois et à 63 % pour un harcèlement de plus de deux ans. Maxime, qui a vécu un harcèlement long, témoigne des répercussions psychologiques auxquelles il a dû faire face : « Ça a eu des impacts psychologiques et mentaux, dans la construction de ma personne en tant qu’adulte. En particulier sur mon rapport au corps, j’ai pris 50 kg en l’espace de 6 ans et j’ai fait une dépression […] Quand on te répète pendant des années que tu ne vaux rien, tu finis par le croire ».