Ce 29 décembre, le ministre de la santé s’est exprimé après un nouveau conseil de défense sanitaire. Bilan : la réouverture des bars, restaurants, lieux de culture et de fête sera très certainement repoussée. Aucune date n’a été communiquée. Dans ce contexte, nous sommes allés à la rencontre des étudiants qui fréquentaient ces espaces de sociabilité. Comment vivent-ils cette privation de liberté ?
« Ma vie a radicalement changé » – voilà le premier constat d’Aline, une étudiante en cinéma. Face à la fermeture soudaine des espaces culturels qu’elle fréquentait régulièrement, elle s’est retrouvée démunie : « Je suis quelqu’un d’assez solitaire et introvertie. Avant, je passais mon temps libre au cinéma, dans les théâtres et bibliothèques … je ressens comme un vide. ». Cette situation n’est pas sans conséquences pour ses études. En effet, les résultats d’Aline ont baissé. En cause selon elle: le« moral à zéro », mais aussi l’absence de culture. « Je me nourris beaucoup des œuvres actuelles pour la réalisation de mes travaux scolaires. C’est désormais plus compliqué. » ajoute-t-elle.
Étudiants, les nouveaux hors-la-loi ?
Le traitement médiatique des étudiants qui font la fête pendant le confinement est équivoque : on y retrouve un vocabulaire bien spécifique – fiesta extravagante », « débordement », « drogue », « alcool », « tunnels », « hangars », « bois », « secret » – et un ton culpabilisant. Emmanuelle Lallement, anthropologue, a analysé le phénomène lors d’un passage à France Culture : « Interdire la fête et la décrire à ce point comme quelque chose de transgressif, c’est lui donner une dimension qu’elle n’a presque jamais. On la décrit comme quelque chose de dionysiaque, où les gens s’oublient et dérivent dans une effervescence totale. Comme quelque chose que l’on condamne moralement. Ainsi, on parle des gens arrêtés comme des suspects. La figure du teufeur devient absolument suspecte dans notre société actuelle. »
Derrière ces descriptions criardes se cachent pourtant des jeunes comme Mehdi, en dernière année d’école d’ingénieur, qui voudraient simplement « lâcher prise ». Il se confie : « Je ne fréquente pas les boîtes de nuit en temps normal. Mais rester seul dans mon petit 13 mètres carré parisien, c’est compliqué. On se lève, on bosse, on va se coucher puis on recommence. Participer à ces fêtes clandestines me permet de supporter la réalité de mon quotidien. » Même chose pour Diane, en deuxième année d’école de journalisme. La jeune fille se dit « en colère » d’être ainsi pointée du doigt. « Quand je lis ça, je me demande si j’ai choisi la bonne voie d’études », confie-t-elle. Et d’ajouter : « On a besoin d’une catharsis. De se libérer, oublier ce foutu virus, au moins le temps d’une nuit. ».
Repli stratégique, connexions salvatrices
Les étudiants ne sont pas tous égaux face aux mesures restrictives. Comment comparer quelqu ’un qui est resté dans sa ville natale entouré de ses amis et un nouveau venu à qui les restrictions ont empêché de construire toute relation ? Mathias, en première année de médecine, s’exprime à ce sujet : « J’ai vécu à Paris toute ma vie, dans la maison familiale. Mes potes ont tous des grosses baraques où on peut encore se retrouver et faire la fête comme avant. Je suis conscient de ma chance, je plains les étudiants seuls. Ceux qui n’ont rien, nulle part où aller. ». Le constat de Mathias est malheureusement appuyé par Adrien, étudiant en BTS informatique : « Je suis en contrat d’alternance, et ma vie se résume littéralement à aller bosser, réviser mes cours et recommencer. On ne va plus à l’école, et mes collègues de travail sont tous bien plus vieux que moi … ma vie sociale est un désastre. ». Adrien pointe du doigt la fermeture des bars : « Je ne suis pas timide, j’ai l’habitude de sortir seul et de me faire des potes facilement. Un bar de quartier, une soirée étudiante, tout est un bon prétexte. Mais là, je suis impuissant … cette situation est insupportable à vivre. ». La sphère privée reste donc l’ultime recours, un potentiel espace de sociabilité où l’État ne peut s’immiscer.
Promiscuité, mon amour
Le dernier aspect qui ressort de cette enquête est celui du contact avec les autres. Le contact physique a soudainement basculé, lui aussi, dans la clandestinité. Nous ne parlons pas de distanciation sanitaire, mais bel et bien de distanciation sociale. Pour Clothilde, jeune diplômée en design de mode, le problème réside dans le fait que cette solitude est « imposée à tous ». Solitaire de nature, la jeune fille reconnaît tout de même son « besoin des autres, vital pour s’épanouir ». Elle explique ensuite : « L’être humain est par définition un être social. Il a besoin des autres pour se construire, moi la première. J’ai besoin de toucher, ressentir l’énergie des autres. ».
Merci à Aline, Mehdi, Diane, Mathias, Adrien et Clothilde pour leurs témoignages.
Article rédigé par Olivier Ghezal.