PAR LÉA TRESSON
Désastre écologiques, catastrophes humaines, ou comment la Coupe du monde, événement sportif le plus populaire de la planète, s’est transformé en débat politique.
Du 20 novembre au 18 décembre 2022, 32 équipes se sont affrontées à travers 64 matchs pour remporter la coupe tant convoitée, triomphe et espérance de toute une vie. Mais glissant du rêve au cauchemar, la 22e édition de la Coupe du monde de football remportée par l’Argentine face à la France essuie plusieurs polémiques. Bilan carbone des infrastructures, trajets en avion, climatisation de stades extérieurs, droits humains, corruption, appel au boycott, la Coupe du monde à fait couler beaucoup d’encre ces derniers mois. Mais cette très grande médiatisation a- t-elle au moins permis une prise de conscience écologique ?
Le choix du Qatar : une décision calculée ?
C’est en 2010 que la décision est prise. La coupe du monde de football masculin se déroulera au Qatar, premier pays arabe à accueillir cet événement mondial. Une belle réussite et une preuve d’ouverture de la FIFA qui étend les territoires hôtes de la compétition au Moyen-Orient.Entre accusations de corruption et constats écologiques et humains dramatiques, la compétition est la cible de différentes ONG de défense des droits de l’Homme et organisations internationales qui tirent la sonnette d’alarme.
Au lendemain de l’attribution de la Coupe du monde au Qatar, « Truqué ! » pouvait-on lire sur la couverture de The Sun, célèbre magazine britannique. La FIFA décide d’ouvrir une enquête sur le choix d’attribution de la compétition au Qatar suite aux accusations de corruption des membres de la fédération.
Ces soupçons semblent prendre sens et appuient les inquiétudes des différentes parties prenantes avec la considération des températures extrêmes du pays et des conditions de jeu inconfortables voire infaisables qu’elles impliquent. Les téléspectateurs devront attendre un peu pour assister à la compétition qui se déroulera donc en hiver contre la traditionnelle période estivale usuelle. Autre solution trouvée par l’Émirat, la construction de stades ouverts et climatisés qui assureront le bon déroulement de la compétition et le bien-être des joueurs. Certes, mais le bilan écologique est catastrophique.
Déclarations mensongères et conséquences dramatiques
Le pays qui annonçait une empreinte carbone neutre se révèle être l’initiateur d’un scandale climatique à grande échelle. La FIFA a estimé l’émission de CO2 du mondial à 3,6 millions de tonnes, un chiffre qui serait sous-estimé selon l’ONG Carbon Market Watch. Les matchs se sont déroulés dans d’immenses stades ouverts, pour la plupart éphémères et climatisés en plein désert. Ce bilan désastreux est dû aux allers et retours des supporteurs qui, faute de pouvoir être hébergés par la petite ville de Doha dans laquelle se tenaient les matchs, devaient faire tous les jours le trajet en avion. Le nombre de trajets aériens s’élèverait à environ 160 par jour, soit un vol toutes les 10 minutes. En janvier, la Commission Suisse pour la loyauté a d’ailleurs ouvert une procédure contre la FIFA, accusant l’organisation de greenwashing.
Ces données s’ajoutent au terrible bilan humain. Selon différentes estimations, entre 600 et 6 500 travailleurs venus d’Indes, du Pakistan, du Népal, du Bangladesh et du Sri Lanka sont morts sur les chantiers ces dix dernières années au Qatar.
Au regard des chiffres estimés, jamais une coupe du monde n’a été aussi meurtrière. De nombreuses ONG dénoncent des conditions de travail intenables. Le Monde Diplomatique évoque même une forme d’esclavagisme et Amnesty International décrit des « violations massives des droits humains ». Leurs rapports montrent les conditions de vie et de travail inhumaines dans lesquelles sont gardés ces hommes et femmes privés de rentrer dans leur pays, leur passeport confisqué. Le Qatar a également été très critiqué pour ses prises de positions homophobes. En effet, l’Émirat réprime les droits des personnes LGBT et punit les relations sexuelles entre personnes de même sexe d’une peine pouvant aller jusqu’à 7 ans de prison, voire la peine de mort pour les musulmans.
Un appel au boycott discuté
« Si j’étais chef d’État, je ne me rendrais pas au Qatar » avait dit François Hollande lors d’une interview pour le journal L’Équipe. Très vite, beaucoup ont appelé au boycott de la coupe. Militants, anciens joueurs, personnalités publiques, journalistes, les prises de positions se multiplient en France comme ailleurs. L’enjeu éthique derrière la coupe du monde pose une question morale à la fois très personnelle mais reposant surtout sur la conscience individuelle. Ingrid Nystrom et Patricia Vendramin, autrices belges, parlent d’un « cas tout à fait singulier d’articulation des niveaux d’action individuelle et collective »*. Mais si certains voient derrière cette initiative une véritable prise de position, d’autres parlent d’un geste inutile et dénué d’intérêt. L’expression de « boycott hypocrite »fait son apparition sur la toile médiatique.
Alors, est-ce que ce boycott à vraiment un sens lorsque ceux et celles qui le pratiquent ne regardent généralement pas le football. Peut- on vraiment parler de manifestation de son désaccord au travers cette stratégie ? Nous avons posé la question à… (ITW en cours, groupe de supporter français qui ont décidé de boycotter le mondial). L’organisation Amnesty International se positionne contre un boycott : « Nous avons décidé de ne pas boycotter ce tournoi. Notre choix : nous servir de l’attention suscitée par la Coupe du monde pour chercher à obtenir des changements pour la protection et le respect des droits des travailleurs et travailleuses migrants au Qatar. ». L’objectif est de contrer l’image dorée que souhaite se donner le Qatar, pays roi du soft power* moderne. La Coupe du monde profitant d’une très large audience serait un moyen efficace de dénoncer ces violations des droits humains pour espérer découler vers une prise de conscience et des décisions législatives du Qatar qui vont dans ce sens. Ainsi tout le monde se souvient des joueurs allemands qui, durant leur premier match du Mondial, posèrent une main devant leur bouche en signe de protestation face aux menaces de sanctions de la FIFA leur refusant le port du brassard « One Love » au Qatar, ou encore des hauts « human’s rights » portés par les joueurs de l’équipe Norvégienne.
Incroyable coup de communication pour L’Émirat, le Qatar a profité de l’événement pour promouvoir le territoire comme destination de rêve. Campagnes publicitaires, sponsor, appui de joueurs mondialement admirés et suivis, le Qatar assure un impact retentissant et alimente un soft power déjà puissant mondialement. Pourtant l’Émirat a vu sa réputation assombrie par cette coupe surnommée la « Coupe du monde de la honte ». Mais plus de 2 mois après la fin du mondial, que reste-t-il ? Quelle conclusion pouvons- nous en tirer ? Boycott ou manifestation, selon médiamétrie la compétition aura finalement rassemblé 20 millions de téléspectateurs et près de 30 millions pour la finale en France où le boycott à très vite été écarté.
La fois de trop ?
Mais pourquoi aujourd’hui cette coupe du monde aux allures de fin du monde fait scandale ? Une prise de conscience soudaine des catastrophes écologiques qui rythment notre monde, un ras de bol général ou bien un ennemi public qui arrange les sociétés occidentales ? Libération affiche à sa Une en novembre « Le vilain petit Qatar ». En effet que vaut ce tapage médiatique occidental ? Quelques semaines avant le début de la compétition, en plein tumulte médiatique, le pouvoir Qatari avait annoncé dénoncer ces « affirmations trompeuses » aux motivations «politiques » et « racistes ». En effet, s’il est normal que les ONG dénoncent les pratiques scandaleuses du Qatar, qu’en est-il des bénéfices financiers des nombreuses institutions européennes qui ne subissent qu’au second plan ce désordre médiatique ? Les grandes bénéficiaires de ces traitements inhumains et d’infrastructures aux conséquences écologiques désastreuses sont notamment des entreprises françaises et belges ainsi que les médias de diffusion tels que TF1 qui, malgré le retrait de la mention du Qatar sur ses campagnes, a profité d’un gain d’audience record pour l’année 2022.
Alors pouvons-nous vraiment parler d’une prise de conscience quand la dénonciation est à demi-mesure? La réponse est à double tranchant. Plus que jamais nous avons pu entendre à la télévision, média traditionnel, des débats et exposés sur la situation et le contexte de cette coupe du monde aux conséquences humaines et climatiques terribles. L’information a été largement diffusée et le mouvement écologique ne se limite plus aux heures de faible écoute. Pendant 2 mois elle a été le sujet des grandes chaînes télévisées européennes et des dirigeants et personnalités ont pu rendre publique leur prise de décision quant au boycott du mondial. Ainsi, si aujourd’hui le constat peut être amoindri par les résultats d’audience de la compétition, l’avancée est tout de même présente. Au-delà d’une sphère bien au courant de la crise, cette coupe du monde aura permis une large diffusion du sujet et la sensibilisation de publics nouveaux en audience de grande écoute. Alors réussite ou échec, nous vous laissons juger par vous-même mais une chose est sûre, les populations européennes ont plus que jamais été avertis de la crise climatique. Débats de fond sur des sujets de formes, qu’importe au final que la multiplication des prises de paroles pour permettre à tous et toutes d’accéder à ces informations d’intérêt général.