PAR KADIATA THIAM
Depuis l’annexion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, des millions de réfugiés ukrainiens et étrangers fuient le pays pour échapper aux violences. Si les pays de l’Union européenne ont mis en place des conditions exceptionnelles d’accueil, ce n’est pas le cas pour les ressortissants non-européens qui dénoncent des discriminations graves. Retour sur les témoignages poignants de ces personnes en quête de refuge et de sécurité.
« Des soldats polonais ont ouvert le grand portail aux Ukrainiens, mais pour nous autres qui étions des étrangers, nous devions passer par une petite porte qui s’ouvrait toutes les cinq minutes, pour laisser passer seulement 10 personnes à la fois. Les personnes qui essayaient de forcer le passage étaient rouées de coups à la tête », se souvient Alpha Oumar Diallo, 32 ans et originaire de la Guinée. N’ayant pas vécu le franchissement des frontières de l’UE comme les autres réfugiés, il affirme s’être senti discriminé à cause de ses origines non européennes : « mon expérience à la frontière polonaise a été très difficile. Mes amis et moi, qui venions d’Afrique, avons été retenus pendant deux jours avec pour seule nourriture des biscuits. ce qui a rendu notre passage encore plus éprouvant ».
Dans les premiers jours qui ont suivi l’invasion de l’Ukraine par la Russie, plusieurs dispositifs d’accueil sont mis en place par l’UE. Mais ces dispositifs ne concernent pas tous les réfugiés. Un régime d’exception dont sont exclus les non-européens, même celles et ceux fuyant également l’Ukraine. Ils sont nombreux à dénoncer des actes d’exclusion ainsi que des violences au niveau des postes-frontières, notamment en Pologne et en Hongrie. Plusieurs réfugiés originaires d’Afrique, d’Inde ou du Pakistan affirment avoir été empêchés de prendre les trains ou les bus pour se rendre en Pologne. Tandis que d’autres dénoncent des actes de violence commis par les gardes- frontières ukrainiens. « Nous avons marché pendant 10 heures avant d’atteindre la frontière avec la Pologne. Nous avons trouvé des gardes-frontières ukrainiens qui nous ont refusé le passage en Pologne, sous prétexte que les ukrainiens étaient prioritaires. Je suis resté sur place durant trois jours sans nourriture, avant de perdre connaissance. À mon réveil, je me suis retrouvé dans les mains des gardes frontaliers polonais sans savoir ce qui m’était arrivé » se rappelle Rayan, jeune étudiant marocain.
Des dispositifs sélectifs…
Malgré la décision unanime du Conseil européen d’appliquer pour la première fois, depuis son adoption en 2001, la directive européenne sur la protection temporaire des personnes fuyant la guerre le temps de la durée du conflit, elle a été, malgré tout, violée par plusieurs pays de l’UE qui ont exclus les réfugiés non-ukrainiens du dispositif. La Pologne a notamment mis en place une protection différenciée pour les réfugiés qu’elle accueille. Elle octroie, en effet, un titre de séjour temporaire, valable 18 mois, aux ressortissants ukrainiens, ainsi qu’une autorisation de séjour valable un an, aux ressortissants de pays tiers qui bénéficiaient d’une protection internationale en Ukraine ou qui étaient titulaires d’un titre de séjour permanent. Les personnes qui résidaient temporairement en Ukraine doivent quant à elles demander l’asile pour obtenir une protection.
La Hongrie a également adopté le 8 mars un décret qui exclut du dispositif toutes les catégories de ressortissants de pays tiers qui résidaient en Ukraine, dérogeant ainsi à la décision de l’UE. En France, des réfugiés étrangers affirment avoir souvent des refus lors de leur demande d’attribution de la protection temporaire. C’est le cas d’Ali, jeune étudiant ivoirien, orienté vers les associations et les CCAS de Paris pour bénéficier d’une assistance d’urgence pour le logement. Après plusieurs tentatives d’obtention d’un justificatif de résidence auprès de l’ambassade d’Ukraine à Paris, pour avoir accès au titre de protection temporaire, il est aujourd’hui sous le statut de demandeur d’asile : « j’ai perdu tous mes documents d’identité, et malgré mes efforts pour en obtenir des copies auprès de l’ambassade d’Ukraine à Paris, mes demandes ont été vaines. La préfecture m’a alors refusé la protection et j’ai été contraint de déposer une demande d’asile », se désole-t-il.
Des étudiants laissés pour compte
Alors que de nombreux étudiants étrangers qui ont fui la guerre en Ukraine affichent leur volonté de poursuivre leurs études en Europe, la directive européenne n’a pas été élargie à leur niveau. Seuls l’Espagne et le Portugal offrent une protection temporaire. Les autres pays de l’UE n’accordent l’accès aux universités qu’aux seuls étudiants concernés par la directive. La grande majorité des 80 000 étudiants étrangers qui résidaient en Ukraine et qui ont fui vers les pays de l’UE se retrouvent dans l’incertitude totale quant à leur avenir.
Aujourd’hui, la plupart des expatriés étrangers sont hébergés par leurs proches, les bénévoles ou encore les associations d’aide aux migrants. Leur nombre est estimé à 4% des réfugiés venus d’Ukraine. En France, la plupart d’entre eux obtiennent, dans un premier temps, un titre de séjour provisoire d’un mois, avant d’être enjoints de quitter le territoire. Pour beaucoup de ces expatriés, un retour dans leur pays d’origine pourrait compromettre leur poursuite d’études ou leur vie professionnelle. Plusieurs d’entre eux ont préféré entamer des procédures de demande d’asile. À ce jour, aucune donnée officielle ne fait état de la situation des personnes étrangères venues d’Ukraine.
Et pourtant …
Depuis le début de la guerre, 7,9 millions d’Ukrainiens ont été accueillis dans les pays européens, soit près de 17% de la population du pays. Grâce à la directive relative à la protection temporaire, les réfugiés ukrainiens ont pu jouir dans toute l’UE de droits harmonisés sur le séjour, l’accès au marché du travail et au logement, l’assistance médicale, l’assistance sociale et l’accès des enfants à l’éducation. Pour la première fois en France, des centres d’accueil réunissant les différents services de l’État ont été mis en place dans plusieurs villes à destination unique des Ukrainiens. Les réfugiés ukrainiens se rendent directement au niveau des différents guichets dédiés (l’Ofii, Pôle Emploi, la DDETS, l’inspection académique, la CPAM et la Caf), avant de repartir avec une carte bancaire et l’argent crédité dessus (environ 14,60 euros par jour). Aujourd’hui, la majorité des réfugiés ukrainiens qui sont encore dans les pays de l’UE ont soit trouvé un travail ou repris des études. Si l’UE a pu mettre en place, dans un délai court, un dispositif d’ampleur pour accueillir les ressortissants ukrainiens, cette réussite pose la question de la différence de traitement entre réfugiés européens et non- européens, et relance le débat sur la politique migratoire appliquée par l’UE.