Sibylle ROSSET
Un an et demi après le premier confinement, les conséquences psychologiques du Covid-19 perdurent et inquiètent. La santé mentale des Français reste dégradée et de nouveaux malades sans antécédents psychiatriques sont recensés. D’après Santé Publique France (SPF), près d’un quart de la population a des signes de troubles anxieux, et les personnes en état dépressif ou ayant des pensées suicidaires sont plus nombreuses qu’avant la pandémie. Le secteur de la psychiatrie, dont l’équilibre était déjà très fragile avant la crise sanitaire, est plus que jamais en péril : les professionnels demandent un soutien concret et des mesures fortes pour éviter l’effondrement pur et simple du système.
Les conséquences psychiatriques du confinement sont importantes et durables : tous types de malades affluent dans les services de soins, même si on note davantage de femmes, de jeunes ou de personnes précaires. Certain.es patient.es ont des pathologies préalables mais il y a également des malades qui ont développé récemment de l’anxiété, des troubles du comportement alimentaire, des troubles cognitifs, des addictions ou encore des épisodes dépressifs.
La santé mentale des enfants en détresse
Les confinements et l’atmosphère anxiogène de cette période singulière ont eu des effets particulièrement délétères sur les enfants. La fermeture des écoles, l’arrêt des activités sportives et de loisirs, et, plus largement, les mesures restrictives sont autant de causes qui expliquent l’émergence de troubles chez les plus jeunes, en témoigne la hausse de 80 % des hospitalisations des jeunes de moins de 15 ans pour motif psychiatrique. La vulnérabilité des personnes âgées face au Covid-19 a également désigné les enfants comme des vecteurs potentiels auprès de leurs grands-parents. Un sentiment de culpabilité en a résulté chez les plus jeunes conduisant, entre autres, à un phénomène de désocialisation et à une augmentation des troubles psychiques et dépressifs, des difficultés liées au sommeil, des phobies sociales et scolaires et des risques d’addiction aux écrans. Pour les moins de trois ans, le port du masque, qui cache la bouche des adultes a affecté la capacité d’apprentissage, induisant des retards dans l’acquisition du langage. Ils sont aussi plus facilement irritables, colériques et susceptibles.
Pour les professionnels de santé, un renforcement de l’offre de soins s’avère inévitable pour répondre à l’accentuation d’un mal-être chez les plus jeunes. Or, le manque de médecins peut conduire à des situations de surmédicalisation ou de mauvaise prise en charge : certains enfants sont parfois placés dans des services hospitaliers pour adultes, à défaut de places dans les unités de pédopsychiatrie.
Un secteur précaire en attente de reconnaissance
Comme en témoigne la tribune de la Fondation FondaMental, signée par une centaine de médecins et associations, la crise sanitaire a agi comme un révélateur de la précarité du système de soins psychiatriques et de l’absence de politiques publiques pour ce secteur qui n’est pas prioritaire. À l’occasion des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie qui ont eu lieu fin septembre à Paris, les attentes étaient grandes. Cependant, les mesures phares annoncées par Emmanuel Macron – le remboursement des consultations auprès de psychologues et la création de 800 postes dans les centres médico-psychologiques (CMP) – sont loin d’être satisfaisantes aux yeux des professionnels. Ceux-ci déplorent la négligence à l’égard de la multiplication des pratiques abusives et honteuses exercées dans les unités de soins. L’accroissement du recours à l’isolement en chambre et à la contention en est l’illustration malheureuse. La faute, entre autres, à un personnel insuffisant et un manque de formation des soignants pour gérer la souffrance des malades.
En psychiatrie, la stabilité variable de l’état psychique des malades devrait permettre de les désigner en tant que personnes vulnérables face au coronavirus. En effet, les patients atteints de troubles mentaux ont plus de risques d’être infectés par le Covid-19 et de développer des formes graves étant donné qu’ils sont deux fois plus atteints de troubles respiratoires et cardio-vasculaires, de problèmes de tension ou encore de diabète, que la population générale. Il peut également s’avérer délicat, pour ces patients, de respecter les gestes barrières et les mesures de confinement du fait de difficultés de concentration et de mémoire.
« Les professionnels déplorent la négligence à l’égard de la multiplication des pratiques abusives et honteuses exercées dans les unités de soins. L’accroissement du recours à l’isolement en chambre et à la contention en est l’illustration malheureuse. »
Des pratiques perturbées et des solutions fragiles
Face à cette situation, satisfaire la demande croissante de prise en charge de la part des malades est de plus en plus compliquée. Des établissements, sources de socialisation, ont fermé et les capacités d’accueil des CMP ont fortement diminué. Les unités psychiatriques ont dû adapter leurs pratiques et se concentrer sur les situations d’urgence nécessitant un suivi en soins intensifs. Ainsi, le manque de lits et la préservation des risques de contamination par promiscuité ont contraint de nombreux malades, dont l’intensité de la pathologie est jugée moins importante, à mettre prématurément un terme à leur hospitalisation. En conséquence, ces patients ont dû se résigner à des soins en ambulatoire ou sont rentrés chez eux. Certains soignants sont intervenus à domicile afin de contenir le risque de rupture de soins et de rechute. La mise en place de téléconsultations est apparue comme une solution inédite qui a permis de garder le lien et de prévenir les décompensations, bouffées délirantes ou tentatives de suicides. Toutefois, ce nouveau mode de soin doit se structurer davantage : formation du personnel et développement d’outils (guides d’auto-soin, suivi psychologique en ligne…) sont essentiels et la fracture numérique doit également être prise en compte.
« La téléconsultation est apparue comme une solution inédite qui a permis de garder le lien et de prévenir les décompensations, bouffées délirantes ou tentatives de suicides. »
Les professionnels appellent à ce que la psychiatrie ne soit plus considérée comme un pan annexe du système de santé mais comme une de ses ressources capitales car, comme l’affirme le Dr Rachel Bocher, chef de service en psychiatrie au CHU de Nantes « Ce que nous disons, c’est qu’il n’y a pas de santé sans santé mentale ».