Timothée PANTEL
L’élection se regarde
Si elles sont surtout le vecteur de débats animés et riches sur des questions politiques de toutes sortes, les périodes d’élections sont également l’occasion d’un certain nombre de questionnements sur le fonctionnement de nos institutions et de leur lien avec la population. Il ne s’agit pas de questionner seulement l’organisation de la vie dans notre société mais aussi les cadres qui permettent et légitiment les décisions prises par celles et ceux qui nous gouvernent, et ce plus encore à l’heure où certain.e.s candidat.e.s composent des programmes contenant des propositions non-constitutionnelles (comme la proposition d’Eric Zemmour de rompre avec la primauté des traités européens sur le droit national).
La dépolitisation prétendue de notre population, mesurée à la désertion progressive des bureaux de votes, fait partie de ces questionnements et interroge les champs politiques et médiatiques, particulièrement dans le cas de l’abstention des jeunes.
Les jeunes votent peu…
Cette abstention, plus importante que chez les autres classes d’âge de la population, est souvent perçue comme le symbole et la confirmation de leur dépolitisation. L’hypothèse est la suivante : si les jeunes s’intéressaient à la politique, iels voteraient et iels voteraient beaucoup.
Si l’abstention peut être analysée comme un rejet de la mécanique de l’élection, est-elle pour autant un rejet de la politique en soi ? On ne peut répondre à cette question par l’affirmative seulement si l’on considère que la mécanique électorale est la seule qui soit politique et que le vote est donc le seul acte qui soit proprement un acte politique.
Les jeunes s’engagent beaucoup dans l’associatif
Or, la politique, c’est-à-dire l’organisation de la vie dans un espace donné, ne peut pas s’arrêter simplement à ces joutes électorales. Si elles sont certainement ce qui est reconnu comme le phénomène le plus éminemment politique du rythme de vie de notre société, il est absurde de penser que l’engagement associatif, pour prendre un exemple évident, ne relève pas de problématiques et de moyens d’action qui relève de la politique.
…Mais iels agissent !
Ainsi, si les jeunes votent peu (bien que de récents sondages semblent annoncer une participation massive de leur part à la prochaine présidentielle) iels s’engagent beaucoup dans l’associatif. Iels étaient approximativement 57% à se déclarer adhérent.e.s à une association en 2018 selon le Baromètre flash de 2018, chiffre considérable qui pourrait décrire une approche différente de la politique chez cette partie de la population.
Il y a la volonté d’opposer deux visions de la politique : celle de la politique des
institutions, historique et officielle contre celle des contre-courants
Cela signifie également qu’iels cherchent réellement à agir sur l’organisation de la vie dans la société, mais qu’iels réfléchissent à des manières alternatives d’arriver à leurs fins.
Or, on peut se demander si du fait de la relative non-incidence de la vie associative sur la politique globale, une certaine scission se crée entre politique institutionnelle et moyens politiques alternatifs. Dans la non-reconnaissance des modes d’engagement alternatifs des jeunes, il y a la volonté d’opposer deux visions de la politique : celle de la politique des institutions, historique et officielle contre celle des contre-courants, marginale et parfois « louche ».
C’est par exemple la thèse du sociologue Vincent Tiberj, qui postule qu’il existe une réelle fracture générationnelle vis-à-vis du vote. Si les générations plus anciennes y sont attachées assez fortement, ce n’est pas le cas des jeunes générations qui voient dans la démocratie des principes concrets qui ne se limitent pas aux élections.
En tournant le dos à cette population et aux moyens qu’elle met en place en dehors de leur cadre, les acteur.trice.s du champ politique risquent de le condamner au vieillissement de la population votante que l’on connaît déjà et aux conséquences de ce vieillissement sur les résultats électoraux.