A l’heure de la pandémie, les festivals de cinéma sont face à une situation inédite, entre craintes pour l’avenir et obligation de s’adapter. Fabrice Calzettoni, cofondateur du festival Lumière de Lyon, répond à nos questions.
Comment vous êtes-vous réorganisé pour vous adapter au COVID ?
Tout d’abord, il faut savoir qu’au cœur de notre organisation on distingue deux entités :
- L’institut lumière : organisation de type cinémathèque avec projection de rétrospective et activité culturelle. Ici on s’est adaptés au COVID comme l’ont fait les musées et les cinémas – actuellement, je suis rattaché au musée et donc au chômage partiel.
- Ensuite, 45 personnes, dont je fais partie, organisent le festival lumière.
Par rapport au COVID se sont présentés deux gros soucis :
- La présence des invités étrangers – notamment les Américains – parce que là, il n’y avait pas possibilité à les faire voyager etc.
- La deuxième c’était les grandes soirées, dans notre festival il y a déjà beaucoup de salle de cinéma. On a également une ouverture, une clôture – qui se déroule dans la Halle Tony-Garnier – ainsi qu’une cérémonie du prix lumière, et surtout un potentiel de 5000 places.
Lors du déconfinement, avant l’été, le comité d’organisation du festival a travaillé autour de l’organisation en se disant qu’on ferait un festival presque normal, comme si tout était revenu à la normale. Et il faut savoir que l’on a besoin, pour les équipes, de commencer à organiser le festival au mois de Juin. On a donc commencé par se dire qu’il n’y aurait pas de deuxième confinement, que même si on doit porter un masque, le festival aura lieu normalement. Thierry Frémaux, directeur du festival a donné le cap « faisons comme ça, sinon, nous n’avancerons pas ! »
Nous avons donc débuté, puis rapidement, nous avons compris, toujours via Thierry – qui est aussi Directeur délégué du festival de Cannes – qu’il y aurait probablement un second confinement ainsi qu’une situation sanitaire compliquée.
Autour du 17 août, on commence à en reparler, on décide alors du prix lumière que l’on va annoncer et premier changement :
- Le prix lumière, jusqu’ici prévu, à savoir Nani Moretti, est remplacé.
En effet il est le dernier grand réalisateur Italien. Du fait du caractère exceptionnel de sa présence, c’est un trop gros risque en cas de souci. Thierry va donc prendre son téléphone et joindre ses amis les frères Dardenne – moins risqué – qui sont venus avec plaisir. Ils se sont donnés à fond à toutes les séances auxquelles il étaient et alors qu’ils savaient qu’ils étaient confiné 15 jours à leur retour en Belgique ! En même temps ils avaient un film à écrire…
Puis, on craignait une nouvelle vague de contamination, on a compris qu’il fallait être prudent, vint alors le second changement :
- On a décidé de ne pas faire la nuit de 5000 spectateurs avec les dortoirs. Au vu du contexte, on ne sentait pas du tout l’idée des dortoirs qui sont à disposition derrière la scène habituellement. Cela a beaucoup joué sur le contenu.
Nous n’avions pas d’invité américain mais nous avons eu beaucoup de chance que Viggo Mortensen – venu en voiture, il a traversé la frontière sans souci – Et Mads Mikkelsen soient venus.
On décide d’annuler deux grandes séances, la nuit et la clôture, afin de rentrer dans nos frais, mais avons maintenu tout le reste.
Le public qui vient mi-octobre découvre un festival quasi normal, on le reçoit dans les conditions sanitaires en place : salle de l’institut lumière qui comporte 270 places remplie a 70% de son potentiel, tout le monde est masqué y compris nous et on se met sur la grande scène à 5M du premier rang pour pouvoir parler.
On communique aussi beaucoup sur les règles sanitaires afin de rassurer le public, ce qui porte ses fruits, puisque lorsque la billetterie s’ouvre, elle se remplit à la même vitesse que les autres années – séance d’ouverture complète en 2 ou 3 jours –
On a un retour presse superbe sur les frères Dardenne – ça fait deux fois qu’ils ont la palme –
Au mois de septembre, Nous avions également construit un village à l’institut lumière – avec le même équipe que pour les très beaux chapiteaux de Cannes – avec salle vip, room, presse, restaurant, DVDthèque, librairie, billetterie et le marché du film, destiné aux professionnels ; Gaumont, Netflix, Warner.
Et comment avez-vous fait face aux évolutions perpétuelles des restrictions ?
Il y eu un premier moment de panique, lorsque nous avons été forcés de passer à 1000 spectateurs en intérieur. Donc on conçoit avec les équipes de la Halle une salle qui va se réduire à 1000 places au lieu de 5000, la halle est transformée en petite Halle.
Pareil pour la remise du prix lumière, au grand amphithéâtre de la Cité internationale qui est plus cossu, avec une capacité de 3000 personnes qui est réduite à 1000.
Deuxième moment de panique ; 48h avant le festival on apprend via une nouvelle annonce du gouvernement, que l’on ne pourra pas ouvrir le marché du film et le village puisque c’est sous chapiteau, et ça c’est interdit à l’ouverture.
On ferme donc le musée sur trois étages et on y installe dans toutes les pièces ce qu’il y avait dans le village, dont le marché du film. Pendant le festival, le musée devient un lieu où grouille la vie et où a pu se dérouler le marché de professionnels sans encombre !
En définitif, sur les 8 jours tout se passe bien, avec un magnifique travail de réadaptation.
Puis, vers la fin du festival on apprend la mesure du couvre-feu, mais celle-ci n’entre en vigueur qu’à partir du samedi soir, or, le prix lumière a lieu vendredi soir – ouf – la mesure tombe le lendemain par pur hasard ce qui fait que le prix lumière a pu avoir lieu et nous avons fermé les portes du festival derrière puisque le samedi et dimanche il y avait le couvre-feu. Par conséquent, les séances du samedi et dimanche ont soit été avancées soit annulées pour que tout termine à 21h.
Selon moi on est vraiment passé entre les gouttes !
Du coup au moment du débrief du festival, on réalise que tout s’est passé quasi normalement. Thierry Frémaux s’est accroché et a fait un travail formidable !
Est-ce que vous craignez, pour la prochaine édition du festival, ne pouvoir accueillir qu’un public restreint ?
Pour vous donner un exemple, Thierry Frémaux a vraiment annulé le festival de Cannes au moment où, vraiment, il n’y avait plus de solutions.
Il appliquera, je pense les mêmes méthodes dont je vous ai parlé précédemment pour le prochain festival lumière et nous nous réadapterons afin de recevoir le public.
Est-ce que vous pensez que les cinéphiles fréquenteront toujours autant les salles de cinéma et/ou les festival en sortie du COVID ? Je pense à la nuit de cinéma que vous organisez notamment. Par ailleurs nous avons vu un recours massif et une adhésion aux plateformes de streaming pendant le confinement.
Moi je fais partie de ceux qui étaient les premiers à aller dans les salles lors du déconfinement.
En mordu de cinéma, j’ai vu 40 films en un mois, mais beaucoup de collègues de l’institut lumière et amis sont restés chez eux et ont pris l’habitude du streaming. Je me suis même pris le bec avec certains. Ça a véritablement créé pour certaines personnes quelque chose comme … « finalement on peut voir les films sur Netflix, pourquoi bouger ? » et puis la chronologie des médias (disponibilité en DVD, VOD etc.) se réduit de plus en plus donc…
Est-ce que vous envisagez un festival digital ?
Non, car Thiery Frémaux est contre l’idée. La question s’est posée mais lui est vraiment dans l’optique de défendre les films ; pour lui le cinéma, c’est les films en salle. Il préfère donc ne pas faire de festival plutôt qu’en faire un « à moitié ».
Concernant le marché du film classique, envisagez-vous de fonctionner avec les professionnels si le présentiel n’est pas possible ?
Bonne question, nous avons déjà commencé à le faire sur cette édition, une partie des rencontres du marché du film s’est organisé par internet, via l’application Zoom.
Est-ce que finalement ce n’est pas une opportunité pour s’organiser autrement dans l’organisation du festival ? (par exemple nous on est en TT, est-ce que les gens qui organisent ce festival peuvent le faire d’une autre manière – en distanciel ?- le faire autrement dans le futur ?
Vraiment, ça n’aurait pas été possible du tout en distanciel, ça aurait été réduit à son minimum – à la limite nous n’aurions eu que l’équipe de programmation de films…
Est-ce que le fonds de solidarité mis en place par le gouvernement vous concerne également ?
Oui il a été versé en deux parties ; l’une pour l’institut lumière et l’autre pour le festival lumière.
J’ai remarqué que vous faisiez participer des personnalités telles que Quentin TARANTINO ou Xavier DOLAN, pensez-vous qu’à l’avenir cela soit toujours possible ?
Ils vont revenir je n’ai aucun doute là-dessus !
Vous savez, cette année, Spike Lee était président du jury pour le festival de Cannes. Il n’a pas pu venir mais il a indiqué à Thierry qu’il serait là comme président en 2021. Je ne me fais pas de souci Thierry Frémaux à un véritable carnet d’artistes lui sont fidèles !
En ce qui me concerne, je pense que beaucoup d‘être humains vont oublier tout ça, comme une guerre, ils vont vouloir laisser ça derrière eux.
Interview réalisée par Hugo Gaillard.