PAR JULIE GENET
Depuis juillet 2022, la guerre est déclarée entre le célèbre rappeur français Booba et la papesse de l’influence et directrice de l’agence Shauna Events, Magali Berdah. Le rappeur se lance alors dans une croisade contre les “influvoleurs”.
Depuis quelques années, les scandales dans le monde de l’influence font irruption dans la vie des internautes. Mais ce n’est qu’en juillet 2022 que le célèbre rappeur français Booba (Élie Yaffa de son vrai nom) se lance dans une croisade contre les arnaques répétées des influenceurs. Sa cible privilégiée : la directrice de Shauna Events (Agence de placements de produits et influence digitale), Magali Berdah.
Booba accuse notamment au cours de plusieurs interviews (Libération et Le Monde) les influenceurs “d’arnaquer les honnêtes gens« . Il estime que alors que sa mission est de “faire tomber un monde totalement fake ». En dénonçant les pratiques qu’il juge parfois “trompeuses”, le Duc de Boulogne se dit “lanceur d’alerte” sur le sujet. Cependant, à la suite de sa plainte contre X pour “pratiques trompeuses des influenceurs”, Magali Berdah s’est tournée elle aussi vers la justice pour “cyberharcèlement sur les réseaux sociaux”, “injure à caractère antisémite”. Une guerre qui n’a pas fini d’agiter la toile.
Dans sa quête contre les “influvoleurs”, Booba n’est pas seul. Récemment, Léna Situations a apporté son soutien au rappeur au cours d’une interview pour Brut: “Booba, ce qu’il est en train de faire, c’est tellement nécessaire. Il faut bien marquer une différence entre les gens qui ont travaillé pour avoir leur communauté, ceux sur lesquels c’est le travail de plusieurs années et ceux qui vont sortir juste d’un télé crochet et qui d’un coup vont avoir une masse d’audience. (…) Bravo à lui d’avoir mis la lumière sur ça. Je pense que l’État va commencer vraiment à prendre ça très au sérieux, parce qu’il y a des jeunes qui se font arnaquer ou qui se font influencer pour acheter des produits qui sont dangereux ».
Où sont les limites de l’influence ?
Si le rappeur dénonce des pratiques frauduleuses et des arnaques en masse auprès des jeunes, le gouvernement s’en mêle, et depuis peu, discute d’une proposition de loi concernant l’encadrement des influenceurs. Sam Zirah, célèbre blogueur et créateur de contenu sur YouTube, s’est récemment rendu à l’Assemblée Nationale pour participer à l’élaboration de ce projet de loi.
Ce projet de loi vise à encadrer les pratiques de marketing d’influence et ainsi fixer les règles qui s’imposent pour la protection des internautes. La proposition de loi (n°456) permettrait notamment de définir précisément ce que recouvre le mot « influenceur » à l’article L. 7125-1 : « est considérée comme exerçant une activité d’influenceur, même si cette activité n’est exercée qu’à titre occasionnel, toute personne physique ou morale qui détient, exploite ou anime, à titre professionnel ou non, une page ou un compte personnel accessible sur une plateforme en ligne et dont l’activité dépasse un seuil d’audience déterminé par décret, en vue du partage de contenus exprimant un point de vue ou donnant des conseils susceptibles d’influencer les habitudes de consommation. »
Toutefois, malgré la proposition de loi, la frontière entre créateur de contenu sur Internet et influenceur est moindre. En effet, de nombreux Youtubeurs(euses) se plaignent régulièrement de la mauvaise image que donnent les “influenceurs TV” aux créateurs de contenus. Julie, 14 ans, collégienne vivant en banlieue parisienne et utilisant les réseaux sociaux tous les jours, nous a d’ailleurs confié : “les influenceurs de télé, je ne leur fait absolument pas confiance, je considère que leurs placements de produits sont des arnaques, ça ne m’inspire pas confiance. Par contre, les autres influenceurs, eux, me font moins peur”.
Parmi ces “lanceurs d’alerte” sur des pratiques parfois peu “éthiques”, Sam Zirah est l’un des plus engagé. En effet, ce dernier a, à plusieurs reprises, traité le sujet des “placements déplacés” dans le cadre de son émission hebdomadaire Au jour d’Aujourd’hui. Tous les influenceurs TV y ont un jour trouvé leur place, Sarah Fraisou, mais aussi Julien Tanti, Maeva Ghennam, Dylan Thiry, Milla Jasmine, Nikola Lozina, etc.
On le sait et la loi l’encadre déjà, la promotion de chirurgie est strictement interdite, et pourtant, certains influenceurs en font régulièrement la promotion sur leurs différentes plateformes. Récemment, c’est Maeva Ghennam qui s’est retrouvée dans la tourmente avec un placement de produit “qui resserre le vagin, comme lorsque l’on a 12 ans”, ou encore Sarah Fraisou avec ce même produit, car selon elle “c’est aussi pour cela que les femmes se font tromper par leur mari”. Julie nous a aussi avoué voir beaucoup de contenus sur la chirurgie esthétique : “j’en vois très souvent, on voit souvent les filles faire des injections, elles en parlent presque tout le temps, je trouve que ça fait peur”. Les communautés des influenceurs sont parfois très jeunes, comme le prouve Julie, à seulement 14 ans les jeunes ont déjà accès au contenu produit par ces personnes. Peut-on alors légitimement se poser la question de leur responsabilité sur les nouvelles générations ?
La promotion de chirurgie n’est malheureusement pas la seule à être largement diffusée, alors qu’elle est interdite. En effet, la promotion des paris sportifs et du trading est strictement interdite dans la loi, et pourtant, ici encore, les influenceurs devenus récemment Dubaïotes comme Laurent Correia (@Iambillionaire) ou encore Julien Tanti (Les Marseillais) ne se cachent plus. Ils créent même des sociétés de trading et en font la promotion sans spécification qu’il s’agit d’un partenariat rémunéré et de leur propre business. D’ailleurs, le 26 janvier dernier, la plateforme du groupe Meta, Instagram, a supprimé le compte de plusieurs influenceurs suite à des plaintes. Parmi ces derniers, on trouve notamment Marc Blata mais aussi sa femme, Nade Blata ainsi que Laurent Correia.
Les risques de l’influence
Lorsque l’on voit tous les placements de produits par jour sur les réseaux, et le salaire que cela procure aux influenceurs, cela en fait rêver plus d’un. Et pourtant, il faut être conscient des risques que l’influence et les réseaux sociaux peuvent avoir. Les arnaques auprès du consommateur ne se font plus rares. Le dropshipping, les marques fictives, les placements de produits Compte CPF sont devenus monnaie courante. C’est pourquoi lorsque le consommateur achète via le marketing d’influence, celui-ci doit bien vérifier qu’il s’agit d’un placement de produit “sûrs”. Au-delà de l’arnaque, il n’est plus rare de voir sur les réseaux sociaux des messages parfois immoraux à l’encontre des individus.
Toutes ces pratiques, le duc de Boulogne les pointe du doigt sur les réseaux sociaux ainsi qu’auprès de la justice. Et il ne pèse pas ses mots : « Au-delà de n’avoir aucun talent, de faire la promotion de la culture du vide, de la débilité, et de ne pas payer leurs impôts en France, ils entubent des citoyens (notamment des adolescents) en leur vendant des saloperies« . Les jeunes, comme Julie, sont confrontés en permanence à ces arnaques. Cependant, certains en sont conscients : “je sais qu’il y a beaucoup d’arnaques et notamment car en ce moment le comportement des influenceurs est largement critiqué. Je connais aussi beaucoup de personnes qui dénoncent eux-mêmes les comportements des autres, alors je suis lucide sur la question.” Une prévention qui commence à circuler sur les réseaux sociaux et une libération de la parole à ce sujet est en expansion, cependant, tous les jeunes ne sont pas sensibilisés, ni les moins jeunes, et les arnaques sont toujours d’actualité.
La prévention et la mise en garde des internautes devient alors la première arme contre les arnaques et les mauvais placements de produits. Afin de contrôler les influenceurs le plus efficacement possible, la DGCCRF appuie ses sanctions grâce aux nombreux signalements faits sur la plateforme “SignalConso”. Une plateforme accessible à tous, et disponible depuis février 2020. Si la DGCCRF n’a pas communiqué sur le nombre et les noms des influenceurs d’ores et déjà condamnés, l’influenceuse Nabilla en a déjà fait les frais en juillet 2021. Rappelez-vous, elle avait alors promu un site de trading sans indiquer la mention “partenariat rémunéré”. Suite à cela, l’influenceuse avait dû régler la somme de 20 000 euros.
Quel avenir pour les influenceurs ?
Malgré les scandales à répétition, le marketing d’influence n’est pas en fin de vie. Cependant, depuis la libération de la parole sur les arnaques, de moins en moins d’internautes font confiance à leurs influenceurs préférés. C’est pour ces raisons que l’avenir de l’influence pose question. Qu’il s’agisse des marques qui utilisent les influenceurs pour promouvoir leurs produits mais aussi des professionnels de ce milieu, tous sont partagés sur le sujet. La question qui se pose alors concerne les stratégies digitales à adopter désormais. Travailler avec des gros influenceurs (+ de 100 000 abonnés) est-il toujours en adéquation avec la société ?
Grâce aux outils disponibles sur les réseaux sociaux, il est désormais facile de montrer l’engagement d’une communauté. Le taux d’engagement par exemple. Et ce dernier le prouve, ce ne sont pas toujours les plus gros influenceurs qui possèdent le taux le plus élevé. Le taux d’engagement relève du nombre de personnes qui interagissent avec les publications par rapport au nombre d’abonnés. Cela signifie-t-il que les abonnés des plus grands influenceurs n’ont réellement plus confiance en leur “idole” ? En 2019 Rakuten Marketing a sorti une étude dont les résultats
sont sans appel : 46% des personnes sur les réseaux sociaux suivent des influenceurs pour leurs différentes recommandations, et 80% ont ainsi acheté un produit ou service suite à un placement de produit. Les influenceurs ont alors recours à l’effet “Best Friends Effect”, c’est-à-dire qu’ils tentent d’influencer des achats par le biais d’une relation de confiance avec les internautes. « Aujourd’hui je ne fais plus confiance aux personnes que je suis sur Instagram, parfois je me retrouve même à ne plus regarder leurs stories car ils font trop de placements, trop de pub, et ça m’agace ». Nous confie Naïs, 22 ans, étudiante en master à l’Université Paris Nanterre.
Aujourd’hui, ce que les internautes recherchent, c’est de la crédibilité. Et c’est aussi ce que les marques recherchent. Certaines marques préfèrent désormais miser, pour leur communication digitale, sur des influenceurs “plus petits” avec moins d’abonnés. Les marques y trouvent ainsi leur compte avec des tarifs amoindris pour un meilleur résultat et une crédibilité plus importante.
Julie prétend n’avoir jamais cédé aux promotions parfois « trop belles pour être vraies », cependant, elle avoue de nombreuses fois avoir été tentée d’aller voir les sites Internet de certains placements de produits. Julie confie également qu’une de ses amies du collège avait même volé la carte bleue de ses parents pour s’acheter un produit de beauté qu’elle n’a jamais reçu. « Ma copine a acheté une crème pour l’acné car elle complexe beaucoup de ses boutons, et n’a jamais reçu sa crème, elle l’a payé 30€ … »
Les influenceurs sont au cœur de nos vies, notamment pour les personnes très actives sur les réseaux sociaux, c’est pourquoi encadrer davantage ces pratiques devient urgent. Julie comme ses autres camarades ne sont pas les seuls à avoir été arnaqués par leur idole. Malgré les mesures mises en place, les scandales à répétition, sans mentionner les polémiques sur les agressions sexuelles et les histoires rocambolesques de sorcellerie, pensez-vous que l’influence a encore sa place dans notre société ?