Zélie DALLEMAGNE
Les idéaux d’extrême droite n’ont jamais été aussi omniprésents dans les débats politiques que dans la période actuelle. Nicolas Dupont-Aignan, Marine Le Pen, Éric Zemmour, Florian Philippot, et même Valérie Pécresse qui rejoint sur de nombreux points certaines figures assurément d’extrême droite, distillent et accaparent le débat public et les enjeux de la future élection présidentielle. Il n’y a d’ailleurs, jamais eu autant de candidats d’extrême-droite ou portant des idées d’extrême-droite à participer à la course à la présidentielle.
Une histoire de l’extrême-droite à la française
L’histoire républicaine de la France est liée à celle de l’extrême-droite qui tente depuis toujours de s’affirmer en se réinventant au fur et à mesure de l’avancée de l’histoire : elle se nourrit des crises, des malheurs et des peurs de la nation. Elle émerge et se consolide avec l’affaire Dreyfus, trouve un large écho au moment de la montée du fascisme dans les années 1920-1930, puis en réaction à une ouverture jugée trop sociale au moment du Front Populaire. Les idéaux s’affirment durant la période de l’Occupation où l’accent était mis sur la défense de la nation contre les Juifs et les communistes qui étaient jugés comme des dangers notoires. En France le fascisme n’a jamais triomphé et ce, pour diverses raisons liées aux conséquences de la crise des années 1930. La France a été moins ébranlée que l’Allemagne et l’Italie. Et l’école de la République, à l’œuvre depuis les années 1880, semble avoir fonctionné. En construisant une identité nationale forte, elle a réussi à propager ses idées et les français.es les plus contestataires ne voulaient profondément pas renverser l’État. Après ces événements, l’extrême-droite est émiettée jusqu’au début de la guerre d’Algérie où elle se positionne comme la sauveuse d’une nation française à nouveau en péril. Certains historien.nes évoquent l’idée selon laquelle ce serait le positionnement du Général de Gaulle sur la question de l’indépendance de l’Algérie qui aurait octroyé une place de choix à l’extrême-droite dans l’échiquier politique français de l’époque. Cela s’explique par le fait que De Gaulle, en tant que figure de la résistance, était le personnage qui occupait le champ de tous les imaginaires en termes de défense de la patrie. Dans cette prise de position, il va à l’encontre de cette idéalisation.
Aujourd’hui, le schéma semble se répéter, la montée significative des idéaux d’extrême-droite en France peut s’expliquer par le climat social ultra tendu. La montée de la haine de l’autre, de l’islamophobie après les attentats, les préoccupations relatives au chômage et à la hausse de la précarité ou la crise migratoire incomprise ouvre à l’extrême-droite une voie royale pour apparaître au-devant des débats médiatiques, et donc par extension des débats politiques.
Mettre en place une dédiabolisation
Lorsque le Front National émerge dans les années 1970, il ne remporte même pas 1% des voix aux présidentielles de 1974. Comment expliquer son ascension au cours des 50 dernières années ? A la fin des années 1980, dans un moment de réécriture de la droite ultra, Jean-Marie Le Pen opère un changement de visage. Les théories sont repensées pour être policées afin d’être plus audibles pour l’opinion publique car de prime abord moins choquantes. Jean-Marie Le Pen vend une droite populaire, sociale, patriote, nationale où le culte de la patrie est la solution à privilégier pour une véritable solidarité entre le peuple. Ce nouveau souffle accorde à l’extrême droite une certaine impulsion aux élections suivantes. La stratégie du Front National est désormais plus lisible, il s’agit de semer le trouble. C’est d’ailleurs ce qui est fait en 1984, avec les fameuses affiches « L’immigration est à l’origine du chômage ». En s’appuyant sur les inquiétudes des citoyen.nes, Jean-Marie Le Pen désigne un bouc émissaire, ce qui l’inscrit dans une longue lignée de stratégie d’extrême-droite. Son ascension s’accélère depuis les années 1990, et connaît son apogée lorsque Jean-Marie Le Pen accède au second tour de l’élection présidentielle en 2002 avec 17,2% des suffrages.
Après son accession la tête du parti, Marine Le Pen entend elle aussi incarner une forme de renouveau. Elle change le nom du parti qui devient le Rassemblement national, police encore plus sa manière de s’exprimer et ses idéaux en appelant de plus en plus à l’union nationale. Et cette stratégie semble fonctionner, car elle accède elle aussi au second tour de la présidentielle contre Emmanuel Macron en 2017. Mais face à cet « adoucissement » de l’extrême-droite, il est clair qu’un autre mécanisme – double – se met en place depuis les dernières présidentielles. D’une part, une partie de l’extrême droite juge Marine Le Pen trop atténuée justement et dénonce ses positions molles. C’est dans ce cadre que l’on a vu émerger la candidature du polémiste Éric Zemmour qui assume être très radical et anti-républicain. Il opère une affiliation avec les figures les plus extrêmes, n’hésitant pas à faire allusion à des personnalités telles que Charles Maurras (de l’Action Française) ou encore Philippe Pétain (chef du gouvernement sous l’Occupation). D’autre part, la droite se « droitise ». Certains des combats de l’extrême droite sont aujourd’hui repris par des partis de droite « classique » comme Les Républicains. Le débat des primaires de la droite en est un bel exemple. Éric Ciotti et Valérie Pécresse cherchent à se concurrencer pour adopter la position la plus radicale au sein de leur famille en évoquant des thèmes comme l’immigration, la préférence nationale pour les allocations sociales, l’aggravation des délits et des crimes en fonction de là où ils sont commis sur le sol français (avec une volonté de modification de la constitution) ou encore le changement d’accès à la naturalisation française.
Comprendre les enjeux de 2022
Pour l’historienne Ariane Chebel d’Appollonia, « l’extrême droite ne peut être perçue qu’en fonction d’une époque et des problèmes posés à un moment particulier de l’histoire, tant il est vrai qu’une force politique est tout autant reflet d’une philosophie politique donnée que témoignage de l’état de la société ».
Le bouleversement politique qu’a entraîné la victoire d’Emmanuel Macron au second tour des élections présidentielles de 2017, a eu des impacts sur toutes les franges d’idéaux. Aujourd’hui pour s’affirmer, la droite traditionnelle semble être convaincue qu’elle doit se rallier à un discours plus dur pour espérer être victorieuse, notamment sur les questions de l’immigration et de la sécurité. D’autre part, le schéma de l’extrême-droite classique en place en France, a lui aussi été secoué et il témoigne de la nécessité de se réinventer. Les médias occupent une place centrale dans la construction et la diffusion des idéaux politiques en période de campagne électorale. Ils dictent les sujets mis à l’agenda politique. Les débats politiques qui ont majoritairement lieu dans ces cadres deviennent des lieux où se banalisent ce genre d’idéaux haineux. Le caractère de presque star de certain.es candidat.es fréquemment invité.es sur les plateaux pour donner leurs avis, confère à leurs idéaux une mise en lumière sans équivoque. Dès lors les présidentielles du printemps prochain ne pourront échapper aux obsessions de l’extrême droite telles que l’immigration et la sécurité. Des problématiques qui semblent bien loin de l’urgence de la situation et où il est encore une fois de mise de protéger la Nation en tant que structure au lieu de comprendre les enjeux d’une époque.