PAR ARLINE PIEKOURA
Les productions africaines sont sous- représentées sur les plateformes de streaming grand public. Bien qu’elles commencent à inclure davantage de contenu issu du continent, un travail important reste à effectuer pour garantir une représentation équitable et diversifiée. Face à cette invisibilisation, les producteurs locaux s’organisent. Examen de cette tendance.
En 2018, la société de recherche The Numbers a révélé, dans le cadre d’une étude, que seulement 0,4% des films disponibles sur Netflix étaient des films issus du continent africain. Ce chiffre, certes, non représentatif des autres plateformes de streaming, est tout de même révélateur des disparités qui règnent dans le milieu de la VAD. Les plateformes de streaming populaires ont une étroite collaboration avec les studios hollywoodiens, ce qui se traduit par la diffusion de nombreux films occidentaux. Cependant, cette prédominance culturelle peut malheureusement invisibiliser certaines productions minoritaires telles que les réalisations africaines qui cherchent tant bien que mal à se faire une place dans l’univers du streaming.
La collecte de données sur la diffusion des contenus sur les plateformes est un défi en raison des restrictions d’accès aux informations. En effet, pour des raisons purement commerciales et confidentielles, ces services disposent du droit de protection de leurs données, en termes d’audience et de diffusion. Ce manque d’information se révèle être problématique puisqu’il ne permet pas la réalisation d’une étude quantitative approfondie. En revanche, avec l’expérience et les retours des utilisateurs, aujourd’hui, nous pouvons apporter un éclairage sur les raisons de cette faible visibilité de ces films africains dans ces services de diffusion en continu.
Les productions africaines en faible croissance sur les plateformes de streaming
L’une des raisons principales réside dans leur forte concentration sur le marché occidental. Ces plateformes diffusent des contenus attractifs pour leur public cible plutôt que de promouvoir des productions africaines, qui peuvent être moins familières aux téléspectateurs occidentaux. Les barrières économiques et logistiques se révèlent être également un frein à la distribution des films africains sur les plateformes de streaming. En effet, les coûts de production de ces réalisations sont souvent plus faibles que les films occidentaux. De ce fait, ils disposent d’un revenu moindre qui ne leur permet pas de promouvoir et de distribuer leurs films à l’échelle internationale.
Également en jeu, la classification des plateformes de streaming. Si l’on prend le cas du service Netflix, il est possible qu’un utilisateur ne puisse pas trouver autant de films africains qu’il souhaiterait. En cause ? Le catalogue limité de ces films en comparaison au volume important de films et de séries télévisées provenant de diverses régions du monde. S’ajoute à cela, le fonctionnement des algorithmes de recommandation de la plateforme, basés sur les habitudes de visionnage et les préférences des utilisateurs. Dans le cas où très peu de personnes visionnent des films africains, les algorithmes ne pourront pas les recommander aussi souvent sur la plateforme. La présence et la disponibilité des contenus sont aussi des aspects à considérer. Certaines productions ne peuvent être accessibles que pour une durée limitée ou peu visibles sur la plateforme en raison de leur manque de notoriété. L’ensemble de ces arguments met en exergue l’importance de rechercher spécifiquement des films africains sur les plateformes, et de suggérer à celles-ci d’ajouter plus de contenu de ce genre pour encourager une meilleure représentativité.
Les nombreuses critiques des utilisateurs, concernant la faible proportion de réalisations africaines sur les plateformes de streaming ont conduit certaines plateformes à intégrer ces films dans leurs cordes. Prenons l’exemple, en 2019, de Netflix, qui lance sa première série originale africaine, Queen Sono, bien accueillie par les critiques. En 2020, la plateforme de streaming a même annoncé un engagement de 100 millions de dollars pour soutenir la création de contenu original en Afrique. Actuellement Netflix est présent en Afrique. La multinationale américaine s’est d’abord focalisée sur les marchés anglophones du continent, à savoir le Nigeria et l’Afrique du Sud. Le choix de ces pays ne s’est pas fait au hasard. En effet, l’entreprise s’est positionnée sur ces pays anglophones, qui restent une cible privilégiée, notamment, pour maintenir un lien démographique, mais aussi pour conserver une proximité culturelle.
Même si la diffusion de ces contenus africains, est aujourd’hui effective, sur certaines plateformes comme Netflix, elle ne concerne pour l’instant qu’un public privilégié, soit, ceux qui ont les moyens de pouvoir s’acheter un abonnement Netflix et qui disposent d’une connexion suffisamment importante pour pouvoir suivre les films et séries.
Afrique numérique : la révolution du streaming et l’émergence des productions locales
À l’heure où la révolution du numérique a complètement bouleversé les usages, les nouveaux modes de consommation de contenus émergent et les plateformes de streaming locales se développent. En août 2021, Digital TV research annonçait 15,1 millions de souscripteurs payants à une offre de SVOD (Subscription Video On Demand) en Afrique pour 2026. En effet, pour pallier leur manque de visibilité sur les plateformes de streaming internationales, de plus en plus de productions locales africaines se sont créées. Ces dernières mettent à l’honneur les films africains dans le but de se différencier des grands groupes comme Amazon, Disney ou Netflix. Ces productions locales incluent :
Les plateformes de streaming en ligne africaines, telles que IrokoTV et Showmax, qui se spécialisent dans le contenu 100% africain et permettent aux consommateurs d’accéder à un grand nombre de films et de séries télévisées produits localement.
Les productions indépendantes, dans lesquelles on observe une progression de cinéastes et de producteurs africains travaillant sur des projets indépendants pour faire connaître leur culture et leur patrimoine à travers leur art. Un exemple de production indépendante en Afrique serait Lion’s Den, un film nigérian réalisé par Karen Odain. Il a été tourné avec des moyens limités et sans le soutien d’un grand studio de production, mais est devenu très populaire auprès du public africain et a été présenté dans plusieurs festivals de cinéma internationaux. Ce genre de projet montre la détermination et la créativité des cinéastes africains pour faire connaître leur culture à travers leur art, malgré les défis rencontrés dans un environnement de production cinématographique traditionnellement dominé par les industries occidentales.
Les partenariats avec des producteurs étrangers pour obtenir une plus grande visibilité sur les plateformes de streaming internationales. Le film Lionheart de Genevieve Nnaji peut être cité comme exemple. Né du partenariat avec le producteur nigérian Chinny Onwugbenu et le producteur britannique Gary Dauberman, ce film diffusé sur Netflix a été le premier film en langue anglaise produit au Nigeria, permettant ainsi une plus grande visibilité pour la production africaine sur une plateforme de streaming internationale.
Ces initiatives sont importantes pour renforcer la visibilité et la reconnaissance des cultures africaines dans l’industrie du cinéma et permettent également aux consommateurs de découvrir de nouveaux talents et de nouvelles histoires. Parmi les plateformes qui mettent le cap sur ce continent, Canal+ Afrique, une filiale du groupe Canal+ créée en 2010 se démarque. Cette plateforme de diffusion considérée comme leader sur le marché de la télévision payante en Afrique, propose une large gamme de programmes, y compris des films, des séries télévisées, des émissions de sport et d’autres divertissements, à ses abonnés. Et tout cela avec une sélection de plusieurs abonnements, qui varie selon les pays et les offres spécifiques disponibles dans chaque région.
Le groupe CANAL+ connaît une forte croissance en Afrique qui comptabilise 856 000 nouveaux abonnés en 2021, soit une augmentation de 14,2% en un an. Et pour cause, en 2021, l’Afrique représente 28,8% des 23 706 000 abonnés totaux du groupe (France + international), avec 6 847 000 abonnés, ce qui représente une augmentation par rapport à 2020 (27,1%). Le service CANALBOX, qui commercialise ces offres, est disponible dans plusieurs pays d’Afrique, tels que le Gabon, le Togo, la Côte d’Ivoire, le Rwanda, le Burkina Faso et la République Démocratique du Congo. Grâce à cela, elle s’engage à soutenir les cinéastes et les producteurs locaux en leur donnant la possibilité de diffuser leurs contenus qui n’est pas exposée sur les autres services de streaming, sur la plateforme dédiée.
3 questions à … Hilary Diby
Hilary est un jeune étudiante ivoirienne de 24 ans, vivant à Cocody en Côte-d’Ivoire
« Chez nous, en Côte-d’Ivoire, de nombreuses personnes ne peuvent pas se permettre de payer un abonnement à Netflix ou à d’autres plateformes en raison des prix élevés et de la qualité instable de la connexion Internet dans certaines zones. Par manque de moyens, la plupart sont obligés de recourir à des méthodes illégales, comme le piratage, pour accéder à des films. Bien que cela soit illégal, c’est souvent le choix préféré des jeunes par rapport à l’achat d’abonnements coûteux pour voir des films. »
Sur quelles plateformes regardes-tu des films et séries ?
J’utilise seulement Canal+ Afrique pour regarder des films et des séries en dehors de ceux diffusés sur les chaînes nationales. Cette plateforme est très appréciée ici en raison de ses prix abordables et de son expérience sur le marché qui est supérieure à celle de Netflix qui vient tout juste de s’installer sur le marché africain. Canal+ Afrique me permet à la fois d’accéder à une variété de films africains, qui ne sont pas disponibles sur les autres plateformes, mais aussi d’avoir accès aux autres chaînes du monde, et cela est très important pour moi car cela me permet une ouverture culturelle.
Quels sont les modes de paiement privilégiés par les abonnés de Canal+ Afrique en Côte d’Ivoire ?
En ce qui concerne le paiement, il peut se faire automatiquement par prélèvement bancaire, par Orange money. C’est un service de transfert d’argent et de paiement mobile développé par l’opérateur de téléphonie mobile Orange qui permet aux utilisateurs de faire des transactions en ligne sans avoir besoin d’un compte bancaire. Ou directement en espèces dans une agence, car l’utilisation de la carte bancaire n’est pas très répandue. La plupart des gens que je connais utilisent Orange Money pour régler leur abonnement Canal+, c’est le moyen de paiement le plus utilisé ici.
Que penses-tu de la tendance des plateformes de streaming à invisibiliser les contenus minoritaires ?
Je pense que les plateformes devraient essayer de diversifier leur contenu et mettre en lumière les productions minoritaires comme les films indiens, africains ou encore les télénovelas sud-américaines. Cela donnerait plus de représentativité et encouragerait l’adhésion d’un public plus large. Je pense aussi que ce serait plus avantageux financièrement parlant pour eux.