PAR ANGÉLA RIGA
Annoncée en avril 2022, l’offre à 5,99 euros financée par des contenus publicitaires est désormais lancée par le géant du streaming. Avec pour objectif de conquérir de nouveaux publics, pour faire face à la concurrence accrue, notamment de Disney +. Le début d’un changement de modèle économique pour le streaming vidéo ?
Netflix, multinationale américaine créée en 1997, déployait jusque-là une stratégie s’appuyant sur la SVOD (Subscription Video On Demand, autrement dit vidéo à la demande par abonnement). Contrairement au streaming audio, qui propose depuis ses débuts des offres freemium financées par la publicité, le modèle économique de Netflix repose jusqu’à aujourd’hui uniquement sur les abonnements payants. Les récents résultats économiques de la plateforme, qui évolue sur un marché de plus en plus concurrentiel, ont amené à remettre en cause ce principe fondateur. Après une perte d’environ 1 million d’abonnés en début d’année 2022, la plateforme de streaming a décidé de revoir ses principes pour tenter de gagner de nouveaux clients. a rumeur d’une introduction de publicités au sein des contenus de la plateforme de streaming circulait déjà en 2020.
Dans une interview, le Directeur général de Netflix, Reed Hastings, avait fait taire ces dires en affirmant qu’il s’opposait à l’intégration de publicité. La raison principale ? Selon lui, il y avait davantage de croissance sur le marché de la consommation que dans la publicité. Il expliquait alors qu’il ne souhaitait pas collecter d’autres données personnelles que celles déjà collectées (ce que les abonnés regardent ou pendant combien de temps, par exemple) : « Nous sommes juste concentrés sur ce qui rend nos membres heureux« . Reed Hastings a même refusé à plusieurs reprises cette proposition de publicité faite par ses investisseurs qui souhaitaient augmenter le chiffre d’affaires en touchant davantage de personnes.
Malgré cette position « anti-pub » maintenue depuis plusieurs dizaines d’années, le 3 novembre dernier, à 17h précises, Netflix a lancé son nouvel abonnement en France Essentiel Avec Pub. L’objectif de ce changement de stratégie ? Toucher un plus large public en proposant une offre plus abordable grâce aux revenus de la publicité.
Moins cher mais avec moins de contenus
Disponible dans 12 pays au total, comme l’Italie ou l’Espagne, la nouvelle offre Essentiel Avec Pub permet avant tout d’avoir accès à des contenus avec de la publicité avant et pendant les programmes. Ces dernières représenteront de 4 à 5 minutes par heure visionnée, et les abonnés n’auront pas la possibilité de les ignorer. Seule exception à la publicité : les comptes enfants. Quant aux films et séries produits et financés par Netflix, certains auront seulement une publicité au début du contenu. La vidéo publicitaire sera plus longue, un peu comme ce qui se fait au cinéma. Pour les abonnés, l’avantage d’avoir de la publicité pendant le visionnage des contenus proposés par Netflix, c’est de pouvoir bénéficier d’un abonnement moins cher que les autres : 5,99 euros seulement contre 8,99 euros pour l’offre traditionnelle. Cependant, le prix n’est pas la seule différence de cette nouvelle formule.
Si jusqu’à maintenant, Netflix mettait toute sa vidéothèque à disposition de tous les comptes, peu importe leur abonnement (Essentiel, Standard ou Premium), ce n’est pas le cas de l’offre Essentiel Avec Pub. En effet, certains contenus ne seront pas disponibles dans le catalogue de ces abonnés, puisque seulement 85% des vidéos seront consultables. La raison de cette limitation est à chercher du côté juridique. En effet, certains studios de production ont signé des contrats de diffusion pour une plateforme sans publicité. Si Netflix devient une plateforme de streaming avec des contenus publicitaires, les revenus de la multinationale seront diversifiés et donc potentiellement supérieurs à ce que prévoient les contrats initiaux de diffusion. Il faut donc les renégocier.
Du côté des annonceurs publicitaires, l’avantage est qu’ils pourront choisir les catégories de films et séries dans lesquels ils veulent diffuser leur publicité.
Ils pourront donc cibler plus précisément les abonnés qu’ils recherchent. L’introduction de contenus publicitaires induit également que Netflix va collecter plus de données personnelles sur les abonnés que pour les autres abonnements, afin de pouvoir proposer des publicités ciblées. Les données concernées seront notamment le nom, la date de naissance et le genre de la personne. De quoi constituer là-aussi de potentielles sources de revenus complémentaires.
Une offre qui s’inscrit dans une stratégie globale
Plusieurs raisons peuvent expliquer la volonté de Netflix de développer cette nouvelle offre d’abonnement, mais celle-ci semble s’inscrire dans une stratégie globale de redéfinition de son offre. Tout d’abord, cela permet à Netflix de toucher une plus large cible via son offre Essentiel Avec Pub. Ensuite, la plateforme a vu son nombre d’abonnés exploser en 2020, avec l’arrivée de l’épidémie du Covid-19. En raison des multiples confinement, de nombreuses personnes se sont tournées vers les plateformes de streaming pour s’occuper. Avec la reprise d’une vie « normale », le nombre de résiliation a augmenté fortement.
De plus, en 2021, Netflix a augmenté de 1 à 2 euros les prix de l’ensemble de ses offres. Si la marque souhaitait toucher de nouvelles cibles et faire face à une concurrence accrue, elle se devait de proposer des tarifs plus intéressants et abordables.
Netflix présente cette offre comme permettant à d’autres clients de « découvrir les films et séries du moment dont tout le monde parle« . En effet, afin de fidéliser ses abonnés et d’en attirer d’autres, et donc de faire face à la concurrence accrue (Prime vidéo, Canal+, OCS, Disney+, Salto, etc.), la plateforme de streaming a investi dans de nouvelles productions, pour proposer des contenus variés et de qualité. De plus, Netflix veille également à proposer de nouvelles fonctionnalités sur sa plateforme pour la rendre plus intéressante ou pratique. L’augmentation des tarifs était donc en lien avec les investissements de la marque, notamment en termes de séries et documentaires originaux.
Ensuite, Netflix s’est attaqué au problème des partages de mots de passe, qui représentent un grand manque à gagner pour la marque. Afin de limiter ces pratiques, Netflix prévoit d’ailleurs dès cette année de déployer une stratégie afin de surveiller plus strictement les partages de comptes. La plateforme de streaming avait déjà changé les conditions d’utilisation de sa plateforme, en indiquant que les comptes devaient uniquement être utilisés entre des personnes qui vivent dans le même foyer. Enfin, sur son site internet, Netflix avance une autre raison : « nous pouvons aussi adapter nos offres et nos tarifs aux évolutions du marché local, par exemple en cas d’inflation ou d’ajout de taxes locales ». La multinationale cherche à maintenir une relation avec ses abonnés en prenant le temps de se justifier sur l’augmentation de ses tarifs, notamment sur son site Internet. Elle souhaite
également les rassurer en leur expliquant qu’une augmentation de prix signifie aussi une meilleure expérience : « lorsque nous modifions nos offres et nos tarifs, nous nous efforçons toujours d’améliorer l’expérience Netflix et d’investir dans des contenus de qualité pour nos abonnés du monde entier ».
Le streaming vers un (vieux) modèle de télévision à péage ?
Avec ce nouveau mode de fonctionnement, Netflix transforme son mode de rémunération puisqu’il ne passe désormais plus uniquement par les abonnements. La mise en place d’une offre avec des publicités induit forcément de nouveaux partenariats entre Netflix et d’autres entreprises. Dans un communiqué de presse, la multinationale met en avant le fait que cette offre eest rendue possible grâce à Microsoft ainsi qu’aux annonceurs qui vont proposer leurs contenus publicitaires sur la plateforme. Au travers de ce partenariat stratégique, Netflix a pour objectifs (sur le long terme) de proposer à ses clients un large choix de contenus publicitaires, d’une part, et de proposer aux annonceurs une plateforme de diffusion plus qualitative que la télévision, d’autre part. Netflix donne également un aperçu de quelques marques dont la publicité fera leur apparition comme LVMH, L’Oréal, Heinz ou encore McDonald’s. Elle indique aussi que l’offre sera améliorée au fur et à mesure, grâce à l’expérience de pourront en faire les abonnés.
Au travers de cette offre on peut observer une reconfiguration de l’environnement médiatique. En effet, Netflix présente ici un modèle intermédiaire à ce qui existe déjà : une plateforme payante qui inclut les publicités qu’on retrouve dans les plateformes gratuites telles que Youtube par exemple. Cette évolution dans l’offre de streaming a cependant un air de déjà vu. Plus qu’une évolution, cela ressemble à un ersatz de télévision à péage, un modèle classique de la fin du XXe siècle. L’avenir du streaming passe- t-il par un retour à des schémas classiques ? L’avenir nous le dira.