PAR AUDE DOUMENGE
« Qui aurait pu prédire la crise climatique » ? Cette question, posée par le président Emmanuel Macron le 31 décembre 2022 lors de ses vœux aux Français, aurait de quoi faire sourire si le sujet n’était pas si grave. En tout cas, ce n’est pas du côté des médias qu’il faut chercher un début de réponse. Jugé anxiogène, technique et complexe, éloigné du quotidien, le sujet n’est que peu présent médiatiquement. un traitement qui pose question.
Comme souvent, c’est un court extrait qui sera retenu des vœux présidentiels pour 2023. Celle qui a fait mouche cette année touche au questionnement du Président quant à la prévision de l’actuelle crise climatique que traverse le monde. Bien évidemment, elle n’a pas manqué de faire grincer quelques dents, et de rappeler le film dorénavant célèbre Dont’t look up. Ce film met en scène des scientifiques alertant pendant des mois de l’arrivée imminente d’une météorite mais raillés et ridiculisés par les médias et les réseaux sociaux. Iris Serrière, activiste à Europe écologie-Les Verts et influenceuse écoféministe ne manque pas de faire le parallèle : “ l’ignorance volontaire par une majorité du problème climatique, c’est la même situation que dans le film”.
De toute part les caricatures et les réactions ont fusées souvent sincèrement offusquées du semblant d’hypocrisie du Président. Cette phrase a eu le mérite de faire réagir et de replacer, le temps d’une polémique, l’urgence de la crise climatique au centre de l’attention médiatique. En effet, depuis près d’un demi- siècle, une part grandissante de la communauté scientifique ne cesse de tirer le signal d’alarme, mais le sujet reste un non-sujet médiatique malgré l’accélération des phénomènes climatiques. Par exemple, Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue et coprésidente du GIEC depuis 2015, reprend sur son Twitter la phrase du Président de la République en recontextualisant avec les éléments d’études du GIEC, affirmant ainsi que le problème est connu depuis au moins les années 80.
Mais alors pourquoi la crise climatique est-elle un non-sujet médiatique, comme le confirme l’étude de l’association française Reporters d’espoirs publiée en 2020 affirmant « qu’un pour cent des sujets traitent du dérèglement climatique » ?
Le règne de l’instantanéité
L’une des raisons de l’invisibilisation du sujet climatique tient au rapport à l’immédiateté des contenus. Frédéric Rohart, journaliste au quotidien belge L’Écho affirme ainsi dans un article d’Imagine-magazine : « la raison de la mise en avant d’une information est sa nouveauté, ce qui n’est pas spécifique au climat». L’émergence des réseaux et des médias en ligne ont accentué ce phénomène de consommation d’informations à court terme. Le sujet climatique, qui est un sujet permanent et au long court, passe ainsi au second plan de l’actualité dans notre rapport à l’instantanéité. De plus, les médias traditionnels ont du s’adapter à la concurrence des réseaux sociaux numériques. Ils ont dû s’adapter et changer drastiquement leur manière de faire pour garder leurs lecteurs. Dorénavant les médias sont lus en ligne et ils se doivent d’informer en continu. Hugo Cartalas, co- fondateur de Greenlobby considère que le sujet climatique s’adapte mal aux fonctionnements des médias : « c’est un non- sujet, le temps consacré est infime, et quand on en parle, c’est toujours sur le mode du catastrophisme ”. Il rêve qu’un soir « au journal de 20h, il y ait de véritables sujets de fond, avec un focus sur un problème écologique et des exemples positifs de solutions menées par une ONG, un acteur économique… bref, d’ouvrir sur une note positive pour rendre possible le changement et sortir du fatalisme ». De même, la multiplication des fake-news au titre volontairement accrocheur et provocateur dessert la présence de la crise climatique dans les journaux. Le lecteur est rapidement perdu entre les articles sérieux traitant du sujet de manière scientifique et les articles relayant de fausses informations pour générer du clic ou faire le buzz. L’information en devient plus fragile et suspecte. Selon le dernier baromètre de La Croix, une personne sur deux ne croit pas à la véracité des propos des journalistes dans les articles lus.
Le règne de l’instantanéité se prolonge par le marketing opéré autour des informations et des titres d’articles pour vendre et donner envie. Et la crise climatique n’est pas un sujet vendeur. Les catastrophes naturelles, les désastres environnementaux sont anxiogènes pour l’internaute, qui est rapidement déprimé à la lecture de ses articles. Ce qui participe à reléguer la crise climatique au rang de sujet de seconde zone. De plus, les messages moralisateurs ou négatifs sont très mal reçus sur le long terme, comme l’explique Iris Serrière : « on a tellement peur de la crise climatique que ça n’est plus audible, ça fait peur aux gens, ça ne fait pas d’audience et puis on est tellement sur un point de non-retour qu’il faudrait gueuler sur les gens ! ». Crier sur les gens n’est évidemment pas la solution pour vendre des journaux. Pourtant, la crise climatique est un sujet essentiel qui touche à la fois notre présent et va modeler notre futur. il est essentiel d’en faire un sujet médiatique de premier ordre.
Rupture générationnelle, wokisme et toute puissance des médias
Malgré 27 COP, six rapports du GIEC, des centaines de milliers de rapports scientifiques ou encore la création du Haut Conseil pour le Climat, le sujet de la crise climatique reste un sous-sujet au sein des médias. Pourtant, pour les jeunes de 18-30 ans, la thématique arrive en tête des sujets préoccupants : 32% sont préoccupés par l’environnement face à 17% pour le chômage. Et justement, entre les millenials et les boomers se créé depuis quelques années un véritable clivage générationnel, comme l’explique Iris Serrière : “mes grands-parents m’interdisent de parler d’écologie en leur présence. Sauf, tout récemment, à la suite des coupures de chauffage. Mais c’est trop tard, la responsabilité des générations passées est trop grande, la crise trop importante. Le dialogue est impossible et ça conduit à l’invisibilisation du sujet”.
La prise de conscience écologique est un véritable phénomène générationnel. Le concept d’éco-anxiété est apparu pour caractériser les jeunes générations effrayées de l’avenir climatique qui se profile. Les mouvements activistes sur le climat vont aussi souvent de pair avec d’autres formes de luttes ancrées à gauche (féminisme, antiracisme), ce qui disqualifie d’emblée, pour une partie de la population et des médias, toute prise de position sur le sujet. Iris Serrière, en tant qu’activiste écologique, raconte qu’elle est souvent traité de « facho écolo allant contre le Gouvernement, contre la vie confortable, c’est un véritable déni climatique”. Pour ne donner qu’un exemple, l’éditorialiste du Figaro Ivan Rioufol, dans un article repris par Télérama en juillet dernier évoque le « discours apocalyptique sur l’urgence climatique » en interrogeant François Gervais, physicien et auteur de L’Urgence climatique est un leurre, qui déclare : « nous sommes plus de mille scientifiques d’une trentaine de pays à avoir signé une déclaration, il n’y a pas d’urgence climatique”. Ces scientifiques se basent sur une synthèse de plus de quatre mille travaux publiés dans des revues internationales qui insistent sur la variabilité naturelle du climat. Cet “affrontement des consensus scientifiques” participe également du brouillage médiatique. Gilles Toussaint, responsable au journal La Libre analyse, fustige ce rapport biaisé : « on a trop régulièrement donné la parole à des climato-sceptiques, au nom de la liberté d’expression, laissant penser qu’une opinion équivalait à des faits scientifiques ». Iris Serrière enfonce le clou : « l’écologie n’est pas présente dans les médias, aussi, parce qu’ils sont la propriété d’industriels qui n’ont pas intérêt à voir émerger ces sujets ». Effectivement le manque de diversité au sein des détenteurs de médias participe à justifier le manque d’échos du sujet climatique.
Un sujet abstrait auquel on peut difficilement s’identifier
La crise climatique est un sujet relativement abstrait pour être traité simplement par les médias. Faire des prévisions n’est pas le rôle des médias mais celui des scientifiques. Analyser des rapports tel que ceux produit par le GIEC requiert une bonne connaissance du sujet pour le vulgariser et le rendre attractif. De même, le découpage est difficile pour les médias plus traditionnels, du fait de la globalisation du problème qui touche à la fois les informations nationales, régionales mais aussi locales.
La crise climatique va aussi dans une certaine mesure contre la réduction du progrès à la seule croissance économique. Il n’est pas évident pour un média de mettre en avant des concepts comme la décroissance ou encore la sobriété comme le recommande le dernier rapport du GIEC de février 2022. Par ailleurs, sur le plan purement émotionnel, la crise climatique ne génère que des sentiments vécus comme négatifs et compliqués. Hugo Cartalas remarque aussi qu’il y a peu de personnalités médiatisées sur le sujet de l’écologie à l’exception de quelques figures comme Greta Thumberg. Pourtant, depuis plus d’un demi- siècle, les personnalités investies sur le sujet ne manquent pas, mais aucune n’a encore atteint l’aura d’un Mandela ou d’un Gandhi.
Pour revenir sur la citation d’Emmanuel Macron, la ministre de la transition écologique Agnès Pannier-Runacher est montée au créneau pour défendre le Président. Elle affirme à qui veut l’entendre qu’Emmanuel Macron a conscience du changement climatique depuis longtemps mais qu’il évoquait les récents évènements des feux de forêts, à ces yeux imprévisibles. Pas forcément très convaincant…