PAR NAÏS HIBLOT
Aujourd’hui, il semble très difficile de penser la question écologique sans poser celle des inégalités sociales. En effet, les inégalités sociales peuvent entraver la mise en place d’actions en faveur de l’environnement en rendant ces dernières inaccessibles voire inacceptables pour les plus pauvres. S’il existe un lien très étroit entre la question écologique et la question sociale, les politiques ont souvent pour habitude d’ignorer ce lien en culpabilisant davantage les populations les plus défavorisées.
« Qui aurait pu prédire la crise climatique aux effets spectaculaires encore cet été dans notre pays ? » Si le Président Emmanuel Macron semble découvrir l’urgence climatique, de nombreuses organisations tentent de sensibiliser les politiques et les citoyens sur l’importance d’un respect de l’environnement. Changements climatiques, perte de biodiversité, pollution de l’air et de l’eau ou encore raréfaction des ressources naturelles : les individus, les entreprises et les gouvernements sont alors appelés à prendre des mesures concrètes pour protéger l’environnement de ces nombreux impacts. Et pourtant, l’effort n’a pas le même coût pour chaque français. Pour les catégories sociales défavorisées, consommer écologique représente un effort financier insurmontable.
L’écologie : une préoccupation de riches ?
Quand on dispose d’un niveau de vie confortable, les solutions pour s’engager dans des comportements écoresponsables sont nombreuses : achat de produits écologiques, investissements dans les énergies renouvelables, utilisation d’appareils éco-énergétiques, ou encore adopter une alimentation faite de produits frais et de saison. Mais pour les classes de la population le moins aisées, l’équation devient compliquée. Selon l’Insee, pour les ménages les plus modestes, l’alimentation et le logement représentent à eux seuls plus d’un tiers du budget annuel (contre 22% pour les foyers les plus aisés). Ainsi, avec l’inflation actuelle et donc un pouvoir d’achat en chute, adopter un mode de vie soucieux du bien-être de la planète n’est pas une priorité pour tout le monde.
Réjeanne, 88 ans, retraitée, veuve et résidant à Conflans-Sainte-Honorine, vit avec un revenu juste au-dessus du seuil de pauvreté. Pour elle, quand vient l’heure des courses, les considérations écologiques sont loin : « j’achète en fonction de ma bourse sans me préoccuper de la planète, l’essentiel c’est de manger. Les courses de nourriture c’est ce qui représente le plus de dépenses pour moi car même si je suis seule, je veux continuer à faire plaisir à mes enfants et petits-enfants. Alors si cette consommation a de réels impacts sur la planète, tant pis !« . Et c’est sans compter sur l’impact que le drame écologique a sur les plus pauvres. En effet, ces derniers sont souvent les plus exposés aux impacts négatifs de la dégradation de l’environnement, comme la pollution de l’air ou de l’eau. Autant de facteurs, qui en retour, renforcent les inégalités sociales.
En bref, l’écologie est devenue aujourd’hui, une véritable question sociale. Pourtant, alors qu’il est important de mettre en place des politiques qui prennent en compte les besoins et les perspectives de tous, quel que soit le milieu social, les politiques ne semblent pas prendre en considération cette inégalité. Mais pourquoi les politiques ont-ils pour habitude de pointer du doigt les plus défavorisés en utilisant un processus de culpabilisation ?
Classes populaires : tous coupables ?
« Une société sans culpabilité ressemblerait à une société hyper individualiste, dans laquelle l’impact des actions sur les autres ne serait pas le moins du monde » a déclaré Edoardo Pappauinna, chercheur en psychologie et en neurosciences. En effet, au départ, la culpabilisation est utilisée pour sensibiliser les individus à leurs actions et à leur impact dans le monde et ainsi les inciter à agir de manière plus responsable. La culpabilisation s’impose comme un moteur de changement, un facteur de prise de conscience.
Cependant, la culpabilisation peut avoir des effets contraires : elle peut créer la réticence du destinataire, comme l’illustre Rejeanne : « je ne me sens pas coupable, avant on ne parlait pas trop d’écologie et aujourd’hui on culpabilise les jeunes. Mais beaucoup de jeunes n’ont pas l’argent pour faire autrement. Chacun fait comme il peut ». La culpabilisation des politiques au sujet de la question environnementale, réside dans le fait que leurs messages s’adressent à tous, sans prendre en compte les difficultés économiques des plus défavorisées. Mais ciblent presque toujours les classes populaires.
Lorsque le gouvernement dénonce les individus utilisant la voiture quotidiennement, ceux qui participent au tourisme de masse ou encore ceux qui empruntent des compagnies low- costs pour voyager, ce sont bien les populations les moins favorisées qui sont pointées du doigt. En réalité, le discours de culpabilisation sur la question écologique concerne toujours les mêmes, les plus pauvres. Il leur est demandé de se serrer la ceinture et de revoir leur façon de consommer. Mais comment consommer autrement, lorsque les solutions les plus durables ne sont pas à leur portée ?
La culpabilisation : une dépolitisation de l’écologie
Ce mécanisme de culpabilisation pose également une autre question. En ramenant systématiquement le débat au niveau individuel, en réduisant les solutions au seul changement de comportement des personnes, à plus forte raison des classes populaires, l’écologie se trouve vidée de toute dimension politique et systémique. Si les individus se sentent coupables de leur impact environnemental, ils peuvent se sentir moins légitimes à faire pression sur les décideurs politiques pour adopter des actions environnementales à grande échelle.
Pour aborder efficacement les défis environnementaux, il est nécessaire que les gouvernements travaillent à la mise en œuvre de politiques environnementales ambitieuses. « Les différents gouvernements n’ont jamais rien voulu changer, alors qu’est-ce qu’on peut y faire ? » avoue Rejeanne. La culpabilisation des classes populaires s’accompagne d’une passivité totale des gouvernements sur les actions politiques permettant de rendre l’offre la moins polluante à un prix accessible à tous. Ainsi, à qui revient réellement la faute ? Qui est le véritable coupable ?
Il semblerait que l’on oppose le développement écologique au développement économique. Mais n’est-il pas possible, au contraire, de travailler sur des actions écologiques qui permettraient de soutenir l’économie en profitant à tous ? Et si finalement, c’était aux individus, déculpabilisés, de rappeler à l’ordre les dirigeants politiques ?