Par Cyriane Dumur

© Cyriane – Josette en 2024

Josette naît en 1934 à Paris, elle est l’aînée d’une fratrie de trois enfants. À sa naissance, ses parents sont déçus : ils attendaient un garçon. Le patriarcat, Josette y est confrontée dès les premières secondes de sa vie, elle n’en sera jamais tout à fait libérée. Élevée dans une famille bourgeoise du bâtiment et des travaux publics, elle grandit dans les injonctions rigides de son époque, sans imaginer encore qu’elle incarnera, toute sa vie, une forme d’indépendance et un féminisme avant l’heure.

Quand la guerre éclate, Josette a cinq ans. Ses souvenirs se brouillent aujourd’hui, c’était, il y a presque 90 ans. Quelques images demeurent : la faim, les alertes, la vie « sous une cloche ». De cette période, elle garde une aversion profonde pour le rutabaga. Élevée selon des manières strictes, elle répète fièrement qu’elle n’a jamais refusé un plat… Sauf, des décennies plus tard, une purée de ce même légume. Ses parents aussi ont faim, ils feront un enfant pour obtenir des tickets de rationnement supplémentaires.

Josette a 10 ans lorsque la guerre se termine. Elle a désormais un petit frère, Jean. Elle excelle à l’école, aime passionnément le français. « Parfait, elle sera secrétaire », tranche son père. Elle qui rêvait d’être professeure de français ? Hors de question, l’accès aux études lui est refusé. Josette renonce à ce qu’elle aime pour prendre un poste de dactylo dans une entreprise aujourd’hui fermée.

Dans cette société, elle découvre ses premières joies d’adulte : l’indépendance, les collègues, l’argent gagné seule, une raison de se lever le matin. Elle s’y épanouit. Mais en 1958, cette date-ci, Josette ne l’a pas oubliée, son père lui tend une lettre de démission. Elle devra la remettre le lundi, pour intégrer, dès mardi, l’entreprise familiale d’outillage, comme secrétaire. Josette déteste ce travail, ses conditions, et plus encore l’injustice de cette décision qu’elle n’a pas choisie.

Pendant un an, sa vie lui échappe. Puis vient un sursaut : ce ne sont pas les hommes qui décideront pour elle. Ce qu’elle aime, au fond, c’est apprendre. Les dix années suivantes deviennent une décennie d’évasion, de tentatives de percées pour reconquérir son existence. Elle s’engage bénévolement à la Croix-Rouge, apprend l’allemand, l’anglais, l’italien, le braille. Elle parcourt la Chine, le Sri Lanka, le Mexique, l’Europe entière, la Thaïlande ; et tant d’autres pays qu’elle peine aujourd’hui à démêler les uns des autres. Elle suit des cours du soir à l’École du Louvre, d’où elle ressort doublement diplômée en histoire de l’art. Elle part seule en Citroën 2 CV jusqu’en Norvège. Elle lit, coud, peint, dessine. Elle devient bilingue, trilingue. Et elle joue magnifiquement du clavecin. Quand on lui demande ce dont elle est la plus fière, c’est vers cet instrument qu’elle se tourne. Elle a aussi joué de la flûte et de la guitare, mais rien n’a d’égal à ses yeux.

Elle deviendra même directrice de la Croix-Rouge du VIIIᵉ arrondissement de Paris, un poste qu’elle occupera pendant dix ans, jusqu’à la fin des années 1980. Elle évoque les distributions alimentaires où personne ne voulait du poulet à l’orange, si bien qu’elle finissait par en manger toutes les semaines.


Josette se fait des amis partout dans le monde. Elle vit, voit, ressent. Son père lui a interdit l’accès à l’éducation ? Qu’à cela ne tienne : elle se fera son éducation elle-même. Josette n’a pas eu d’enfants, elle ne s’est jamais mariée. Très croyante, aujourd’hui âgée, elle fronce les sourcils quand elle entend le mot « féminisme ». Et pourtant, elle en fut une, instinctivement, profondément. Toute sa vie, elle s’est battue pour conquérir l’éducation qu’elle estimait mériter, pour faire seule ce qu’on lui disait impossible. Une femme indépendante, et libre à sa manière.

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