
Par Morgane Giraudeau
En 2009, Franck Attia, directeur du club de boxe Maccabi Paris, décide de mettre en place des cours de boxe exclusivement réservés aux femmes. Le Lady Boxing, c’est ainsi que les cours sont nommés, rencontre un succès immédiat. Une petite révolution dans un milieu extrêmement masculin qui va aider à la féminisation des arts martiaux. À quelques pas de la place de la République, le club continue de promouvoir l’accès à la discipline aux femmes.
En franchissant le seuil, impossible de louper le néon bleu « @maccabiparis », qui salue chaque adhérent. De multiples trophées sont alignés sur des étagères, un poster en noir et blanc de Mohamed Ali est encadré juste à côté, de quoi effacer les doutes, s’il y en avait, sur la nature du lieu. Melissa Bronsart, coach au Maccabi, accueille comme tous les lundis les participantes au cours de Lady Boxing. Ce soir-là, une nouvelle venue semble un peu intimidée et n’ose pas franchir le seuil de la salle. Sur les tatamis, les habituées s’échauffent déjà, bandes de protection aux mains. La coach se dirige vers la jeune femme, elles échangent quelques mots et entrent dans la salle. Le cours commence par du cardio pour éviter tout risque de blessures, puis l’instructrice fait la démonstration des exercices : direct du bras arrière, crochet au foie, middle gauche… Un vocabulaire complexe pour tout novice, mais illustré parfaitement dans des mouvements familiers pour Melissa Bronsart. Pour cause, elle a débuté les arts martiaux très jeune : « J’ai fait différents styles de boxe pieds-poings, entre 11 et 18 ans. Je faisais de la compétition. Puis j’ai arrêté pendant 10 ans et j’ai repris ici au Maccabi il y a 3 ans. Depuis la rentrée de septembre 2024 je donne des cours. ». L’enseignement n’était pas une évidence, mais c’est le directeur du club, Franck Attia, qui lui a proposé de reprendre les cours de Lady Boxing à sa place. Des leçons qu’il a lui-même créées en voyant plusieurs types de cours pour femmes : « Il y avait beaucoup de body combat, une forme de combat mélangée au fitness. Je voulais essayer d’intégrer tout ça à la boxe. Quand j’ai lancé le Lady Boxing, j’ai fait un véritable cours de kick-boxing et ça a plu. Les premières élèves ont d’ailleurs été des adeptes du kick-boxing. ». Au fur et à mesure, le public et les mentalités ont évolué. Aujourd’hui, le patron du Maccabi le constate dans la façon dont les femmes osent venir à des cours mixtes : « Elles demandent à faire plus de sparring. ». Le sparring est une forme de combat libre à intensité minimale. Le but n’étant pas de faire mal ou même de gagner le combat, mais plutôt d’appliquer les techniques vues en cours dans une situation de combat « réelle ». Un exercice que Melissa Bronsart tente de démocratiser dans ses cours. Elle a donc fait acheter des protège-dents à toutes les femmes avec le soutien de Franck Attia. Elle estime que le sparring est nécessaire pour mémoriser les mouvements et les enchaînements. « Pour moi c’est comme quand on apprend une langue : on apprend le vocabulaire, les conjugaisons, les expressions idiomatiques, on travaille son accent… Mais le test final, c’est d’avoir une conversation avec quelqu’un. (…) Le sparring, c’est comme une conversation. On voit ce qu’on aime, ce qu’on arrive à faire, notre style. C’est dans le sparring que tout cela se révèle », explique-t-elle.
Apprendre à se faire confiance
Un exercice qui permet aussi de prendre confiance en soi, même s’il peut être impressionnant pour les débutantes. Melissa Bronsart encourage la communication. Ainsi, plutôt que d’imaginer un adversaire, il faut voir un partenaire avec lequel il est nécessaire de construire une relation de confiance. « Oui, on se prend des coups, on ne va pas se mentir, ça reste un cours de boxe, mais ce n’est pas la fin du monde, ça fait seulement mal sur le moment. On ne peut pas boxer sans accepter de prendre des coups, ça fait partie du jeu. Mais il faut voir qu’on est capable de le gérer et j’espère que c’est une crainte qui se dissipe assez rapidement. ». Les filles présentes ce jour-là terminent avec des sparring à thème. Dans une ambiance bon enfant, l’instructrice les fait travailler sur leurs techniques de blocage. Pendant trois minutes environ, l’une des deux boxeuses tente de bloquer tous les coups de sa partenaire et de riposter avec deux coups de son choix. Un exercice « ping-pong » qui permet de travailler les réflexes et d’accepter de recevoir des coups. Quand l’un d’eux résonne dans la salle, il est rapidement suivi d’un « excuse-moi ».
« Aujourd’hui je n’ai plus peur, ça me donne de l’espoir, du courage. » – Aya (31 ans), adhérente du Maccabi
Les plus expérimentées aident les novices tandis que Melissa passe entre les combattantes pour donner des conseils et corriger les mouvements si besoin. Elle prend le temps nécessaire jusqu’à ce que les filles réussissent. Le cours se termine et toutes ressortent le sourire aux lèvres. Mona, l’une des élèves, vient aux deux cours proposés chaque semaine et voit les bénéfices : « Sportivement, je me défoule mais surtout, je prends de l’assurance vis-à-vis de mon corps. Je sais ce dont je suis capable et c’est peut-être bête mais je me sens plus à l’aise dans la rue même si je sais que s’il arrive quoi que ce soit, je prendrai la fuite (rires). ». Aya, une autre adhérente, a aussi pris confiance en elle grâce au Lady Boxing : « Je ne le pratique pas dans le but de la self-défense mais plutôt pour oser et savoir prendre les coups, comme dans la vie. Je me souviens qu’au début, pendant les premiers cours, je fermais les yeux quand je recevais des coups. Aujourd’hui je n’ai plus peur et ça me donne de l’espoir, du courage. ». Elle pense d’ailleurs se sentir prête à sauter le pas et à intégrer les cours mixtes l’année prochaine. De plus en plus, les profils se diversifient et les femmes osent intégrer les cours mixtes à l’image d’une société qui évolue dans le bon sens, selon Melissa : « Je pense qu’on progresse sur ces sujets et ça se retranscrit dans les sports de combat. Ici, il n’y a aucune discrimination entre femmes et hommes. ». Mais cette parité n’est pas encore généralisée, comme le constate Franck Attia : « Il y a beaucoup de clubs misogynes. J’ai entendu parler d’un club de lutte qui refuse les femmes parce que les femmes empêchent de faire avancer le cours… Je trouve ça choquant. ». L’ancien karatéka impose donc le respect au sein de son club et n’hésite pas à interrompre ses cours pour réprimander les comportements sexistes s’il y en a.
Des femmes bien présentes sur la scène internationale
Heureusement, ces dernières années, les femmes ont de plus en plus affirmé leur place sur la scène internationale et le mouvement a suivi dans les clubs. Melissa Bronsart pense notamment à l’effet des réseaux sociaux : « Quand j’ai commencé les sports de combat, il n’y avait pas Instagram, il y avait à peine Internet. Il y avait beaucoup de misogynie. Aujourd’hui, on a accès à des images de femmes combattantes, donc à des représentations différentes. On peut s’identifier à elles. Elles partagent leur vision de la discipline, leur parcours, leur entraînement. » Une visibilité qui a aussi permis de déconstruire les clichés liés aux boxeuses et de prouver que force et féminité sont compatibles. « Les femmes sont de plus en plus fortes. Surtout dans les arts martiaux. On l’a vu aux Jeux Olympiques de Paris. On le voit dans les clubs. En MMA, par exemple, il y a des femmes incroyables. Je pense à Manon Fiorot, une grande championne, seule Française à l’UFC et qui s’entraîne au Maccabi Nice. ». De son côté, Melissa pense tout de suite à l’américaine Tiffany van Soest, surnommée « Time Bomb » (en français, « bombe à retardement »), spécialisée en kick-boxing et en Muay-thaï (boxe thaïlandaise). Fraîchement retraitée, elle combattait en catégorie poids léger -55kg et était deuxième au classement mondial avec 25 victoires dont 10 par KO (knock-out). Mais ce qu’elle admire le plus chez la combattante, c’est son style de combat « non-conventionnel ». On dirait qu’elle danse. Elle fait des choses surprenantes, très variées et artistiques. Elle a un style propre, unique, c’est vraiment magnifique. » Pour elle, le comportement en dehors est aussi, si ce n’est plus, important que sur le ring : « Tiffany van Soest est très humble, elle est très posée. Elle a vraiment l’esprit Bushido (la voie du guerrier). »
« Il faut trouver sa maison, l’endroit où on est bien, où on a confiance en ses partenaires d’entraînement. Il faut se construire son groupe et pouvoir s’exprimer, évoluer et se sentir bien. » – Melissa Bronsart
Un état d’esprit que Franck Attia tente d’instaurer dans le club. Car la pratique d’un sport de combat passe avant tout par le mental : « Les arts martiaux rassemblent. Ça nous permet de nous retrouver, d’être bienveillant, de progresser dans une bonne ambiance. » Pour encourager les femmes qui n’osent pas sauter le pas, Melissa conclut : « C’est un saut dans l’inconnu. On peut se dire, « je suis une femme, le sport de combat, ce n’est pas pour moi, je n’ai pas assez de force, je n’ai pas assez de muscles ou je n’ai pas assez de cardio » mais on a besoin de rien de tout ça pour commencer. On le construit au fur et à mesure. On rencontre des gens. Il faut venir et il faut le sentir. Il faut trouver sa maison, l’endroit où on est bien, où on a confiance en ses partenaires d’entraînement. Il faut se construire son groupe et pouvoir s’exprimer, évoluer et se sentir bien. ».

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