Par Nabila Ikene

« La caméra, normalement, donne vers l’extérieur, pas vers l’intérieur. Il faut la voir comme une continuité de l’œil, et non comme un miroir. » Photographe et vidéaste, Adrien Scat place la notion de sens et d’impact au cœur de son travail. Entre voyages, projets associatifs et créations personnelles, il nous explique sa démarche et sa vision de la création de contenu, en marge de « la culture du vide ».

Black Sheep.- Votre travail, qu’il s’agisse de photographie, de vidéo ou de projets comme votre podcast Sens ou encore votre projet photo avec Créateur d’Impact, se distingue par une volonté constante de donner du sens et de créer de l’impact. D’où vient cette exigence et comment cela guide-t-il votre réflexion ?

Adrien Scat : Eh bien, j’ai très vite compris que je n’allais pas devenir le meilleur techniquement. Mais la photo me plaisait, parce que c’était selon moi un bel outil pour raconter ma vie, faite de voyages et de rencontres. Plutôt que de chercher uniquement le beau, comme beaucoup de photographes, j’ai choisi de privilégier le fond et le sens. C’est en réalisant cela que j’ai compris que je voulais aller plus loin, chercher des histoires à vivre et à transmettre à travers mon art.

B.S.- Et, concrètement, comment choisissez-vous les sujets qui, selon vous, méritent d’être mis en lumière ?

A.S.- J’ai grandi avec des projets sociaux et associatifs. Petit à petit, j’ai même travaillé avec des Organisations Non-Gouvernementales (ONG), des associations, puis des entreprises. À force d’en accompagner en tant que photographe, j’ai compris qu’on ne pouvait pas rivaliser avec les grosses boîtes en termes de moyens, mais qu’en stratégie, en réflexion, en storytelling, on pouvait parfois aller plus loin qu’elles, en ajoutant ce petit plus qui fait la différence. J’ai toujours eu cette mentalité : me pousser moi-même et pousser les autres à se démarquer. Cela m’a souvent apporté énormément de changements positifs et d’impact. C’est devenu une manière de penser et de travailler : comment ne pas faire comme les autres ? Peu importe le projet, cette envie prend toujours le dessus. Certains ont les moyens financiers pour se démarquer, d’autres doivent redoubler d’efforts. Pour moi, cela passe par des détails, par le fait de marquer un peu plus que les autres. Et tout cela se cristallise dans le sens, qui selon moi est le plus important.

B.S.- Vous dites donc que ce besoin de créer du sens est lié à une recherche d’authenticité. Qu’entendez-vous par là ?

A.S.- Mon but en tant que photographe, c’est d’essayer de ramener les gens au plus proche de scènes de vie que peu auront la chance de vivre. C’est une recherche d’authenticité avec moi-même, que je veux aussi transmettre à travers mes photos. Si je vis de la photo, c’est pour vivre de ce que j’aime. Je veux faire de la photo qui me plaît, celle qui a du sens pour moi, qui sert à quelque chose, qui peut aider un peu les gens. À travers mon parcours, j’ai eu la chance de me rendre compte qu’il y a des photos qui peuvent littéralement changer les choses, impacter des projets et aussi la vie des gens. Et lorsqu’on goûte à cela, ça ne peut que devenir un objectif dans un processus de création. 

Encore une fois, je pense que c’est dans une recherche d’authenticité avec moi-même que je cherche aussi à être authentique à travers mes photos. Parce que quand on parle de photos, on parle de beaucoup de choses, mais on parle surtout de valorisation. Il y a ce besoin d’authenticité, mais aussi et surtout cette envie de valoriser. Quand on parle de la culture du vide, c’est surtout de l’auto-valorisation, alors que le photographe, lui, doit valoriser l’autre, une culture.

B.S.- Et cette démarche de valorisation, elle se retrouve aussi dans vos projets comme Sens ou Créateur d’Impact, à travers lesquels vous mettez en avant des histoires et des talents. Mais quelle est la réflexion derrière ces initiatives ?

A.S.- Pourquoi je le fais ? Je pense qu’il y a un peu de tout. Clairement, on le fait toujours un peu pour soi en premier. Mais en plus de ça, j’ai ce besoin de valoriser. Je suis persuadé qu’avec du bon contenu, on peut vraiment donner un tremplin à certains projets. Un gars comme Pierrot et son projet autour des enfants en situation de handicap au Sénégal, je sais que sans les vidéos et le podcast, il n’en serait peut-être pas là aujourd’hui. Un de ses plus gros partenaires est venu grâce à ces contenus. 

À un moment, il faut dupliquer les chances, trouver des solutions pour que ces projets avancent. Parce qu’il y a trop de gens qui entreprennent des choses qui ne servent à rien, juste pour de l’argent. Tandis qu’à côté, des gens font des projets incroyables, qui changent vraiment des choses, mais que personne ne voit. Je pense que j’ai ce souci d’aller montrer les gens que personne ne voit et de pousser les autres à créer de l’impact eux aussi.

B.S.- Vous parlez du Sénégal, ce qui me fait penser que vous avez beaucoup voyagé et vécu un certain nombre d’expériences et de rencontres qui ont changé votre vie. Y a-t-il un moment qui a marqué votre parcours et changé votre vision de la création de contenu ?

A.S.- Je pense que ma plus grande claque, c’était à mes débuts, lorsque je travaillais à Courchevel en restauration. Je montrais mes photos de Colombie à des clients fortunés en espérant qu’ils m’aident. Et j’ai réalisé que tous ces gens, que je considérais comme des exemples de réussite, enviaient en fait un peu ma vie. Un autre choc a été la rencontre avec un homme du Moyen-Orient qui, à la fin de son séjour à Courchevel, m’a offert son appareil photo en me disant que j’en ferai un meilleur usage que lui. Pour moi, ces expériences ont été porteuses de sens et m’ont fait comprendre que j’étais peut-être sur la bonne voie.

B.S.- Quels conseils donneriez-vous aux jeunes créateurs pour éviter cette culture du vide ?

A.S.- Le plus important, c’est de bien se connaître, d’apprendre à s’écouter. On a chacun une histoire, une sensibilité, des cultures différentes. Mais avant tout, cela doit être ce qui vous passionne, car sans passion, on ne va pas loin. Pour la photo ou la vidéo, il faut raconter des choses importantes pour soi. La caméra, normalement, donne vers l’extérieur, pas vers l’intérieur. Il faut la voir comme une continuité de l’œil, et non comme un miroir. Il ne faut pas oublier que derrière une caméra, il y a un objectif. Et ça ne s’appelle pas un objectif pour rien.

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