Par Blanche Lobel
Au creux des collines de Bruniquel, sous le regard des anciennes pierres du château millénaire, un atelier abrite les secrets d’un art ancestral, où le souffle et le verre deviennent ensemble poésie. Dans ce cadre pittoresque, Fernando Agostinho, « Ago » comme le nomment familièrement les villageois, fait revivre les traditions, et transmet son savoir à son fils, Yoann.
L’atelier baigné de lumière par une verrière en hauteur permet à Fernando Agostinho, maître verrier, de dompter la matière tout en scrutant chaque potentiel défaut de ses créations en cours. Il se meut dans son espace, sans quitter son travail des yeux. Chaque pas posé à l’aveuglette contribue à l’usure du sol en béton, sur lequel la chorégraphie apprise par cœur pendant 50 ans a dessiné sa trajectoire.
Malgré sa haute et large stature, héritage de dizaines d’années passées à manœuvrer les tiges de métal incandescentes et à manipuler la puissance brute du feu, Fernando pose ses gestes avec une force maîtrisée. Celle-ci pourrait être prise pour de la délicatesse, si son visage, buriné par le temps et les chaleurs intenses du four, ne montrait pas de légères tensions, signes d’efforts d’équilibres auxquels même un maître de l’art doit se contraindre. Ses cheveux mi-longs, poivre et sel, tiennent sous un chapeau rond en tissu, mais quelques mèches folles qu’il a tendance à jeter en arrière d’un coup de tête (pas question de s’interrompre même un instant) entrent parfois dans son champ de vision. Elles font tourner les tiges sans arrêt, avec dextérité, donnant une forme au noyau incandescent de verre en leur bout. Sa barbe de trois jours lui donne un air de sage artisan, un peu bohème, ancré dans la tradition. Ses mains, larges et marquées de brûlures anciennes, racontent un vie dédiée à son art. Ses paumes rugueuses se sont endurcies pour faire face à la chaleur des tiges métalliques, mais elles restent précises, capables de pousser le matériau dans sa forme souhaitée avec une tendresse surprenante.
Sa voix, légèrement rocailleuse, et munie d’un très léger accent, peut-être hérité de son ascendance portugaise, résonne dans l’atelier. Il transmet son savoir à son fils Yoann qui, depuis déjà sept ans, travaille à ses côtés dans le but de reprendre la verrerie après son père.
Le feu gronde dans le four, « Ago » trempe son verre dedans de temps à autre et maîtrise la température qui doit rester à plus de 1200°. Enfin, lorsqu’il sent que la matière est prête, tout en faisant pivoter la tige vers le sol, il y colle ses lèvres et insuffle une forme aérienne dans le verre incandescent. Il le trempe ensuite dans des cristaux de couleur, qui donneront leur pigment pour l’œuvre finale. La masse de verre en fusion danse, rougeoyante, et se reflète dans les yeux bruns de l’artisan qui guette ses moindres fluctuations. Le plus petit orifice, la plus petite bulle mal placée peut ruiner tout le travail. Lentement, elle se gonfle, devenant presque organique, vibrante. Avec de longs couteaux de fer forgé, « Ago » étire le verre, et dicte les contours de l’objet à venir. Docile mais capricieux, le matériau se fond à la volonté de l’artiste, oscillant entre forme brute et sculpture raffinée.
Les spectateurs, car c’est un spectacle choregraphié auquel assistent les passants qui entrent par curiosité, n’osent rompre la concentration du maître de son art. Ils peuvent observer la pièce et y trouver de véritables extensions du souffleur de verre : ses outils. Éparpillés sur une table ou accrochés bien droits au mur, ils sont les témoins des œuvres exposées dans la pièce attenante à l’atelier. Chaque détail entre ces quatre murs raconte une histoire : le grésillement du verre lorsqu’il est roulé sur la table de fer, l’éclat des couleurs éparpillées sur une autre, le souffle constant du four qui semble alimenter autant l’art que l’artiste lui-même. Dans cet univers pittoresque de la campagne du Tarn, entre ces pierres épaisses qui montent les murs, Agostinho est à la fois artisan, alchimiste, et conteur.
Lorsqu’il repose sa pièce brûlante, une panthère rose esquissée dans le cristal liquide, et la sépare de sa tige d’un coup sec et précis, il la glisse dans le « frigo ». Ce mot presque ironique représente l’endroit où les pièces terminées vont, par pallier, pendant toute la nuit, passer de 500° à une température ambiante. Un sourire en coin, il brise le surplus de verre resté au bout de sa tige. Au pied de Bruniquel, au sein de cet atelier vibrant de chaleur et de lumière, Fernando Agostinho ne fait pas que souffler le verre, il lui donne une âme. Un art vivant, célébrant la beauté et la fragilité de la création.
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