Par Antoine Turplaut
Entre les nombreux procès médiatiques et l’invariable nécessité de laisser la Justice faire son travail, l’intégrité peine à trouver sa place dans une atmosphère de plus en plus conflictuelle. Le débat autour d’une justice spécialisée en matière de violences faites aux femmes prend de plus en plus d’ampleur.
Alors que Roman Polanski cherche à décrocher une place à Cannes et à la Mostra avec son film The Palace, et que Benjamin Mendy a été jugé non coupable par un jury populaire après six accusations de viol, un sentiment d’injustice persiste. Ces affaires soulèvent des questions sur l’impartialité de la Justice lorsqu’il s’agit de violences faites aux femmes.
Faut-il croire aveuglément toutes les personnes qui se disent victimes d’agressions si une justice spécialisée était mise en place pour les violences faites aux femmes ? Certainement pas, mais une telle réforme pourrait permettre de remettre en question nos perceptions. Ces perceptions influencent la façon dont nous croyons ou non aux récits des victimes, en fonction de nos expériences, de nos valeurs et de notre éducation. Dans une société patriarcale où les hommes violents bénéficient encore d’une protection insidieuse, il devient urgent de réinventer un système judiciaire plus équitable.
L’affaire Benjamin Mendy, comme tant d’autres avant elle, met en lumière le caractère trop souvent « exceptionnel » de ces affaires, traitées comme de simples faits divers, résolus selon le principe du « parole contre parole ». Pourtant, dans notre société, la parole des hommes a bien plus de poids que celle des femmes. La socialisation genrée, à l’origine des violences faites aux femmes, influence encore profondément la façon dont ces affaires sont jugées.
Comment briser ce cercle vicieux ? Comment rééquilibrer les rapports de force ? Faut-il envisager de transformer le principe de « présumé innocent » en celui de « présumé coupable », alors que 80 % des condamnés pour violences faites aux femmes ont nié les faits lors de leurs procès ?
La Justice face aux violences systémiques
Les dénonciations d’agressions sexuelles sont souvent difficiles à remettre en cause, avec seulement 2 à 8 % de plaintes jugées infondées. Pourtant, la société continue de sous-estimer la parole des femmes, renforcée par des discours sexistes et le silence autour des accusations. Ce silence profite aux agresseurs, tandis que la présomption d’innocence est utilisée pour victimiser les accusés, comme ce fut le cas pour Benjamin Mendy et Sofiane Bennacer, nuisant ainsi à la crédibilité des victimes.
Les violences faites aux femmes ne sont pas des événements isolés mais des phénomènes systémiques, enracinés dans des déterminants sociaux. En témoigne l’acceptation continue de figures comme Roman Polanski dans des événements prestigieux comme Cannes, malgré les accusations portées contre lui. La justice, bien qu’ayant un rôle clé, peine à s’adapter à ces enjeux, car les procès ne se limitent pas aux tribunaux mais se jouent aussi dans l’opinion publique. En 2020, la France comptait en moyenne soixante sept viols par jour et un féminicide tous les trois jours, des chiffres qui appellent à une prise de conscience collective. Pour enrayer ce système, il est essentiel d’adopter une approche globale et spécifique, nécessitant une révision en profondeur des mécanismes sociaux et judiciaires.
Le système espagnol en avance sur le système français
L’Espagne est un modèle en Europe dans la lutte contre les violences faites aux femmes, avec des résultats concrets : le taux de féminicides y est deux fois plus faible qu’en France. Depuis 2004, le pays a mis en place des juridictions spécialisées, une prise en charge coordonnée des victimes et une plateforme d’évaluation du danger, Viogen, qui a réduit de manière significative les féminicides parmi les femmes ayant porté plainte. En Espagne, les victimes bénéficient également de soutiens juridiques, psychologiques et sociaux, ainsi que de droits au travail et au logement renforcés.
Si la France a intégré certains dispositifs inspirés du modèle espagnol, comme l’ordonnance de protection et le bracelet anti-rapprochement, un changement de regard plus profond reste nécessaire pour faire évoluer les politiques et mieux soutenir les victimes.
Combien de temps en moyenne une femme victime de violences met-elle pour faire valoir ses droits ?
Chaque cas est unique, mais la victime se retrouve le plus souvent face à des procédures longues et diverses en raison de leur superposition. Dans le cadre des violences faites aux femmes, les procédures sont en effet beaucoup plus nombreuses que dans d’autres affaires pénales car elles s’inscrivent au sein de plusieurs champs de judiciarisation (pénal et civil) ; impliquant généralement un divorce, des mesures de protection, des modalités d’exercice de l’autorité parentale, etc. La victime se retrouve alors suspendue à de multiples décisions aux mains de différents interlocuteurs (juge pénal, juge aux affaires familiales, juge d’instruction, juge des enfants). Il s’agit donc d’un temps généralement long et usant.
Parmi les mesures nouvelles pour lutter contre les violences faites aux femmes est évoquée la création d’une juridiction spécialisée, quels avantages et inconvénients selon vous ?
Selon moi, le dispositif législatif français est déjà assez complet pour répondre aux prérogatives qui sont les siennes concernant les violences faites aux femmes. Les moyens de la Justice doivent néanmoins être profondément renforcés pour qu’elle remplisse convenablement sa mission. Il s’agirait également d’initier un grand plan de formation auprès des magistrat(e)s afin qu’iels comprennent davantage le psychotrauma qui accompagne les victimes de violences.
Dans ce contexte encore très pesant, l’idée de mobiliser des magistrat(e)s qui seraient dédié(e)s aux violences faites aux femmes serait donc la bienvenue pour désengorger les tribunaux et accélérer les processus. Mais comment une femme isolée pourrait-elle espérer avoir recourt à une juridiction spécialisée quand celle-ci ne serait disponible que dans certains tribunaux ? Qu’en est-il également des crimes jugés en cours d’assises?
Dans les cas de faits de violences faites aux femmes, quels intérêts pourrait présenter la mise en place de la présomption de culpabilité ?
En matière de violences conjugales, il est très difficile d’apporter des preuves, un doute subsiste toujours sur la véracité des faits. Or, le doute pèse toujours sur les femmes. C’est pourquoi cette possibilité pourrait présenter plusieurs intérêts. Cependant, encore une fois, je crois beaucoup à la formation de toutes et tous, auprès des professionnel(le)s et du grand public. La présomption de culpabilité prend d’ailleurs de plus en plus de place dans l’opinion publique et participe à sensibiliser le plus grand nombre. C’est pourquoi il ne me semble pas forcément nécessaire que cela s’inscrive formellement dans le droit français qui s’applique déjà à rendre compte de la vérité. Nos représentations, plus que les textes de loi, doivent évoluer.
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