Par Aubin Wurtz

Le 14 juillet 2023, le syndicat des acteur·rice·s d’Hollywood SAG-AFTRA a débuté une grève devenue historique. Très vite, celle-ci s’est généralisée avec les acteur·rice·s joignant leurs forces aux scénaristes représentés par la Writers Guild of America, et en incluant le secteur du jeu vidéo, et la création d’un syndicat pour les technicien·nes des effets spéciaux face à des géants comme Warner Bros, Netflix ou encore Disney. 

L’intelligence artificielle au cœur des dissensions

Avec ChatGPT, Bard ou encore Claude, l’intelligence artificielle est omniprésente dans la presse et refaçonne l’approche de nombreux travailleur·euses. Véritable révolution ou terrible danger ? C’est la question qui résonne aujourd’hui à Hollywood.

Alors que les studios américains souhaitent bénéficier des atouts d’une telle technologie afin de faire des économies : scanner les acteur·rices pour les recréer ensuite, recréer les voix emblématiques de célébrités disparues… Forcément, les principaux concernés ne peuvent que voir de telles décisions comme une véritable menace.

Si ce conflit est aussi important, c’est parce qu’il est l’un des plus longs qu’ait connu le monde du cinéma jusqu’à présent. Il faut remonter à 1980 pour trouver la dernière grève des acteur·rices et encore plus loin, 1960, pour trouver une grève simultanée entre acteurs et écrivains. La dernière fois qu’Hollywood a autant été affecté, c’était pendant la pandémie de COVID-19 en 2020. 

Faute d’un accord entre acteur·rices et studios sur les futurs contrats, le syndicat SAG-AFTRA a donc lancé ce mouvement historique. Le mois de négociations n’aura pas suffi à leur permettre de trouver un terrain d’entente : ce sont donc plus de 160 000 acteurs de divers secteurs qui arrêtent totalement leur activité. C’est l’actrice Fran Drescher, connue pour son rôle dans « Une Nounou d’enfer » qui est présidente du syndicat et qui est donc à la tête de cette grève votée par 98% des membres.

Deux revendications ressortent clairement : des garanties face à l’émergence de l’intelligence artificielle et la réévaluation des revenus par les services de streaming. En effet, l’intelligence artificielle est aujourd’hui capable de prouesses en très peu de temps et évolue à une vitesse exponentielle. 2023 est marqué par l’émergence de ChatGPT, Midjourney, Bard ou même Dall-E. Avec un court texte descriptif, il est désormais à la portée de tous de créer des textes structurés ou des images imaginaires ou proches de la réalité en l’espace de quelques secondes. 

Source : Pexels

Le marché de l’IA a su attiser la curiosité de nombreux investisseurs qui ont développé leur propre solution : en image, texte, mais aussi vidéo, effets spéciaux ou encore audio. Désormais, ce sont tous les métiers qui sont impactés par ces nouvelles technologies. 

La volonté des studios est donc d’utiliser l’intelligence artificielle pour, à l’image des avatars virtuels dans les jeux vidéo, scanner des acteur·rices et utiliser leur image sans leur consentement dans des productions ultérieures en créant leur double numérique. Mais ce n’est pas seulement l’image d’un·e acteur·rice qui est en jeu, avec le même principe que le Deep Fake, c’est aussi leur voix qui peut être recréée à la perfection. 

Envers et contre tout

Plusieurs acteur·rices de grands noms ont tenu à apporter leur soutien au mouvement de grève soit en allant directement manifester, soit en apposant leur nom à une lettre de groupe pour rappeler leur volonté de ne pas céder en cas de désaccord avec les studios. Parmi eux, nous retrouvons Meryl Streep, Jennifer Lawrence ou encore Rami Malek. 

Au vu de l’ampleur du mouvement et de la crise profonde qui touche Hollywood, une véritable guerre est menée entre studios et artistes. Des rencontres ont eu lieu, des dérapages aussi ; les réseaux sociaux se sont emparés de la grève, donnant encore plus de voix au SAG-AFTRA. Sur le piquet de grève, ce sont désormais acteur.rices et scénaristes qui marchent pour revendiquer leurs droits. 

En principe, il est impossible pour les studios de tourner quoi que ce soit, films ou séries, même si les tournages étaient déjà en cours. C’est le cas par exemple de « Deadpool 3 » qui ne peut pas poursuivre son tournage alors même qu’il touchait quasiment à sa fin. En revanche, d’autres productions comme « House of the Dragon » peuvent continuer, s’agissant d’acteurs anglais n’appartenant donc pas au SAG-AFTRA qui est un syndicat américain. 

Ainsi, toute personne qui a un intérêt ou l’ambition de devenir acteur·rice aux États-Unis se doit de respecter les exigences imposées par le SAG-AFTRA si elle souhaite l’intégrer à l’avenir. Cette grève a donc beaucoup d’impacts : films, séries, télé-réalités, talk-shows et même cérémonies ne peuvent plus avoir lieu. Les Emmy Awards, censés se tenir le 18 septembre dernier, ont été repoussés à janvier 2024 tant le mouvement perdure. 

Si le SAG-AFTRA continue sa grève, cela aura divers impacts sur d’autres syndicats du corps de métiers d’Hollywood. Avec la WGA, il est impossible pour la DGA (Directors Guilde of America) de poursuivre son travail malgré l’accord trouvé et signé de leur côté. En effet, il serait difficile de réaliser quoi que ce soit sans acteur·rices ou scénaristes. C’est donc un chômage technique qui s’impose aux réalisateur·trices de la DGA. 

L’avènement du streaming ou de l’intelligence artificielle et les différents enjeux que cela implique, touchent tous les secteurs d’Hollywood. En mettant le feu aux poudres, la grève de la WGA et du SAG-AFTRA a donné des idées à certains autres. C’est le cas du secteur du jeu vidéo et des comédien·nes faisant de la motion capture, qui se joignent au piquet de grève. 

Cupidité, manque de respect ou encore danger, ce sont des mots forts utilisés par la présidente Fran Dreschner pour démontrer l’importance d’un tel moment historique. Le 1er septembre, le SAG-AFTRA a donc voté à l’unanimité l’extension du droit de grève à ses membres dans l’industrie vidéoludique. Ce sont des craintes légitimes quand un studio comme Ubisoft utilise déjà l’intelligence artificielle pour créer des environnements ou écrire des dialogues dans ses jeux vidéo.

Cette grève aura permis de créer un autre événement majeur dans l’histoire du cinéma hollywoodien. Si la société Marvel Studios de Disney est devenue l’une des plus admirées avec son MCU, cette fois elle fait l’actualité pour le traitement accordé aux artistes des effets spéciaux. C’est dans un communiqué daté du lundi 7 août que les artistes d’effets spéciaux ont annoncé une demande de syndicalisation autour du nom d’International Alliance of Theatrical Stage Employees (IATSE). 

Au cœur de leurs doléances : l’IA et le streaming également, mais surtout la volonté d’obtenir les mêmes protections et avantages que les autres syndicats avaient obtenus depuis le début de l’industrie du cinéma à Hollywood. 

L’avenir du cinéma hollywoodien 

Le milieu audiovisuel américain est donc en pleine contestation historique. Mais qu’en est-il des autres unions ? 

Quelques pistes semblent se dessiner avec un accord de principe trouvé du côté de la WGA. Il aura fallu 146 jours de grève pour que les scénaristes obtiennent gain de cause avec les principaux studios d’Hollywood. Cet accord qualifié d’exceptionnel par le syndicat durera trois ans s’il est approuvé par la direction de la WGA composée de 11 500 scénaristes. Il faudra attendre le texte définitif pour connaitre les avancées majeures obtenues, notamment en matière d’intelligence artificielle. 

Si c’est une forte avancée dans la lutte de droits des artistes hollywoodiens, malheureusement cela ne signifie pas que les acteur·rices ont, eux aussi, obtenu ce qu’ils souhaitaient. Le retour à la normale n’est pas pour tout de suite puisque les membres de SAG-AFTRA poursuivent leurs efforts. « La SAG-AFTRA félicite la WGA d’être parvenue à un accord de principe avec l’AMPTP après 146 jours d’une force, d’une résistance et d’une solidarité incroyables sur les piquets de grève », a tout de même indiqué le syndicat des acteurs dans un communiqué.

Tout cela fut possible grâce à des soutiens externes comme ceux apportés par les Teamsters ou encore l’IATSE. Ces deux entités auront, à leur tour, besoin de la WGA et de la SAG-AFTRA en 2024 pour soutenir leurs propres revendications face aux studios. Les travailleurs de ces deux syndicats, des caméramans aux effets spéciaux, sont au chômage depuis mai dernier. 

Il ne s’agissait là plus que d’une question de temps : l’IATSE avait déjà failli partir en grève en 2021 à cause de nombreux désaccords et mauvais traitements de la part des studios tels que des journées de 18 heures, des refus de pauses toilettes ou même des semaines sans congés. Ce surmenage a été révélé sur le compte Instagram « IATSE Stories » et a mis en cause les studios Marvel. 

Toutefois, le succès de ces futurs mouvements n’est pas assuré, en partie à cause d’un certain système de classes qui s’est imposé à Hollywood avec les réalisateur·rices, producteur·rices, scénaristes et acteur·rices tout en haut et les machinistes, costumier·ères, mixeur·euses sonores ou tout autre métier de l’ombre en bas de cette échelle. 

C’est la solidarité des différents syndicats qui a permis d’obtenir de nombreuses avancées au niveau des droits dans le monde cinématographique hollywoodien. L’IA est probablement la prochaine grosse bataille à mener et, si l’accord entre la WGA et l’AMPTP a permis d’apprendre quelque chose, c’est qu’elle n’est pas vaine.

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