Par Lucie Chambon

Community manager de Médecins du Monde depuis plus de trois ans, Juliette Ratto est tous les jours confrontée à la gestion de fake news. Au sein du service digital et plus largement de l’organisation, la question est toujours de savoir comment répondre aux allégations invraisemblables relayées sur les réseaux sociaux visant directement l’organisation. Un enjeu vital qui peut mettre en danger, à chaque instant, les bénéficiaires et les travailleurs humanitaires.
Lucie Chambon : Pourriez-vous nous parler de votre rôle en tant que community manager chez MdM (Médecins du Monde) et nous dire comment cela vous amène à gérer les fake news ?
Juliette Ratto : En tant que community manager chez MdM, je gère les réseaux sociaux en collaboration avec le pôle digital, les équipes terrain, le plaidoyer et la direction. Mon rôle principal est de rendre visibles nos actions et de les vulgariser pour les rendre accessibles au grand public. À cet effet, je conçois des visuels et des vidéos qui expliquent nos missions et défendent nos combats.
Parallèlement à la production de contenu, je me consacre à la modération des échanges sur nos plateformes. Je gère notre communauté, qui regroupe à la fois nos soutiens et des « haters ». Ces derniers, souvent français, critiquent nos actions, en particulier celles en faveur des populations précaires en France et dans d’autres pays. Ils s’attaquent à nos publications pour défendre leurs propres intérêts. Mon travail consiste à surveiller et à modérer ces commentaires, afin de préserver un espace d’échange respectueux et constructif autour de nos missions.
L.C : Médecins du Monde intervient souvent dans des zones de conflit ou de crise humanitaire, comme en Palestine. Comment ces contextes spécifiques influencent-ils la propagation des fake news et rendent-ils votre travail plus difficile ?
J.R : Le conflit en Palestine, très médiatisé et polarisant, a exposé MdM à une forte visibilité en raison de son positionnement clair : protéger les civils en période de conflit et renforcer le système de santé palestinien, contrairement à Israël où ce besoin n’existe pas. Entre octobre et janvier, l’organisation a intensifié sa communication avec des publications régulières et des interventions médiatiques, mettant en lumière ses actions sur le terrain.
Cette visibilité accrue a suscité des réactions variées sur les réseaux sociaux, souvent dominées par la désinformation et la haine. Beaucoup partagent des idées sans vérification, rendant difficiles le tri des informations et la gestion des débats. La haine prenant plus de place que les retours positifs, mon rôle a été de poursuivre les efforts de communication et de sensibilisation tout en gérant les fake news et les commentaires négatifs.
J’ai dû trouver un équilibre entre ignorer les messages de haine pour rester efficace et rester fidèle à la réalité vécue par nos équipes sur le terrain. Malgré les défis, l’objectif principal est de montrer ce qui se passe réellement en Palestine à travers un travail d’information rigoureux et authentique.
L.C : Face à leur propagation, quelles stratégies mettez-vous en place avec votre équipe pour identifier les fake news, les contrer puis protéger l’image de Médecins du Monde ?
J.R : Nous utilisons notamment des logiciels de veille. Nous sommes actuellement en période de transition entre notre ancien prestataire, Mention, et le nouveau, Meltwater. En fonction des alertes mises en place, chaque fois que les mots-clés de nos alertes sont utilisés, nous recevons une notification. Cela nous permet, en principe, de ne manquer aucune information sur nos sujets. Par exemple, avec l’alerte « Médecins du Monde », dès que quelqu’un parle de l’association en ligne, que ce soit en bien ou en mal, et quel que soit le réseau ou le média, tout est répertorié au même endroit. Cela nous permet d’avoir une vision globale et de savoir si une fake news ressort en particulier. En parallèle, nous restons évidemment vigilants aux commentaires sous nos posts et aux réactions.
L.C : Comment conciliez-vous la nécessité de réagir rapidement aux fake news avec l’importance de vérifier les informations ?
J.R : Chez MdM, il y a de nombreux processus de validation. Dans tous les cas, je ne peux pas détecter une fake news et réagir directement. Pour réagir, je dois d’abord consulter ma responsable, qui, à son tour, consulte le responsable communication, et ainsi de suite, avec en parallèle tout le service plaidoyer, qui est très au fait de chacune de nos actualités et vigilant à ce qui se dit. Nous réfléchissons ensemble : nous pouvons parfois être plus de dix autour d’une table pour discuter et nous dire qu’il y a telle fake news qui est sortie à notre sujet, qu’elle a été relayée un certain nombre de fois, et nous demandons : que faisons-nous ? Est-ce pertinent ou non de réagir ?
De manière générale, nous réagissons le moins possible, et si nous le faisons, ce sera le plus souvent via un post, un communiqué ou un article sur le site. Chacune des publications doit être vérifiée et validée, et chaque réponse à une fake news ne doit pas être précipitée. Nous sommes obligés d’en discuter longuement, donc notre réponse ne se fait jamais dans la précipitation, car nous savons que, sur les réseaux, tout va très vite, et les réponses précipitées peuvent potentiellement engendrer des erreurs qui risquent d’être relayées des centaines ou des milliers de fois, jusqu’à ce que cela nous dépasse totalement. Tout passe par une validation rigoureuse et un travail de fond avec les autres services.
L.C : Selon vous, quel est l’impact des fake news sur la perception du public à l’égard des organisations humanitaires et sur leur capacité à mener à bien leurs missions ?
J.R : Je pense que, de tout temps, les ONG ont été décriées et malheureusement, avec les réseaux sociaux, cela va d’autant plus vite. Il y a forcément un impact de toutes ces fake news sur la perception d’une partie du public, mais cet impact reste minime, car il y a tellement de personnes qui nous soutiennent, nous font des dons, nous relaient sur les réseaux sociaux ou suivent nos actions et trouvent cela important. Ce sont elles qui représentent la majeure partie de notre audience et font rayonner nos combats et notre organisation. Les fake news ne sont donc pas très fréquentes, même si elles peuvent provoquer un gros bad buzz sur un moment de courte durée.
Mais, de manière plus large, concernant notre capacité à mener à bien nos missions, je pense que les fake news n’ont pas d’impact et ne nous empêchent pas de remplir nos objectifs. La seule exception que j’émettrais serait au sujet de nos équipes sur le terrain. Selon les fake news qui pourraient être propagées à notre encontre, elles pourraient être mises en danger. Même si cela n’est jamais vraiment arrivé, c’est une des raisons pour lesquelles nous sommes d’autant plus attentifs à ce qui se dit à notre sujet. Peu importe ce qui est dit sur les réseaux sociaux ou dans les médias, nous savons pourquoi nous faisons ce travail, à quoi il sert, et de nombreuses personnes le savent aussi.
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