Par Charles Ride

  © Photo de Tommaso Debenedetti – FUNDACIÓN GABO

Un journaliste qui piège les journalistes ; un jour l’ennemi juré de la presse, le lendemain le plus grand défenseur du devoir de véracité dans les médias. Un génie de l’insolence pour les uns, l’archétype de l’anti-héros d’une pièce dramatique pour les autres. Le pitch vous plaît ? Alors vous risquez d’apprécier le portrait de Tommaso Debenedetti, un enseignant et ancien journaliste italien réputé pour avoir passé plus d’une décennie à diffuser de fausses informations en ligne dans l’optique de décrédibiliser le milieu journalistique et ses principaux acteurs qui, souvent, se font prendre au piège. Retour sur les motivations et la démarche de l’homme qui est considéré comme « le plus grand menteur d’Internet ».

Avec un grand-père puis un père écrivains et journalistes, Tommaso Debenedetti ne déniche pas sa qualité de plume et sa maîtrise de l’art du storytelling de nulle part. Né en 1969, il se destine d’abord à une carrière journalistique, comme pour se fier, semblerait-il, aux coutumes familiales. Puis, l’émergence d’Internet et la mainmise progressive des réseaux sociaux numériques dans la diffusion et le relais d’informations en ligne incitent Tommaso Debenedetti à se pencher davantage sur le sujet des fake news.

En 2010, il décide alors de créer lui-même de faux comptes sur X (ex-Twitter) et de diffuser de fausses informations afin, dans un premier temps, de constater la façon dont elles sont accueillies et/ou reprises dans la sphère journalistique et informationnelle. Coup de poker : nombreux sont ceux qui tombent dans le panneau. Tommaso Debenedetti s’appuie donc sur cette méthode « pour alerter sur la faiblesse des médias » et pour démontrer que « la presse est victime de fausses nouvelles parce qu’elle veut aller trop vite ». Une pratique qu’il applique pendant plus de dix ans et qui l’aura vu monter de toute pièce et publier environ soixante-dix fausses interviews de personnalités médiatiques de tout horizon entre 2010 et 2024. L’anecdote la plus célèbre reste celle de Philip Roth. En 2010, ce dernier avait été interviewé par une journaliste italienne qui l’avait interrogé sur les propos qu’il avait prétendument tenus à l’égard du président Barack Obama. Bien entendu, ces propos n’étaient jamais sortis de la bouche de l’écrivain, mais uniquement de l’imagination de Tommaso Debenedetti, responsable quelques mois plus tôt de la publication d’un faux entretien pour le Libero, un quotidien milanais.

Tommaso Debenedetti est aujourd’hui professeur de littérature italienne à Rome. Il maintient un regard à la fois curieux, amusé et alarmant sur la propagation et la viralité des fausses informations qui circulent librement et facilement dans une société marquée par la culture de l’instantanéité. Sa démarche atypique a permis, selon lui, de mettre en lumière le manque de vérification inquiétant des informations diffusées par les médias traditionnels sur les réseaux sociaux. Au premier trimestre 2024, le professeur italien a par ailleurs réaffirmé à la Revue des médias de l’INA son intention de continuer à créer des faux comptes pour divulguer des « mensonges » sur les réseaux. Et si Tommaso Debenedetti envisage de ne pas s’arrêter tant que les fake news subsistent en ligne, il semblerait qu’il ne soit pas prêt de manquer de support de travail.

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