Par Alexis Lacroix
Une révolution ?
Haute de 500 mètres, large de 200 mètres et longue de 170 km, The Line est présenté·e comme la réponse aux problèmes de mobilité urbaine et de congestion citadine. Imaginez, un mur de miroir construit au milieu du désert, équivalant à la distance Monaco-Marseille ou Paris-Le Havre. Imaginez une ville sans routes ni voitures, avec une sécurité renforcée assurée par l’intelligence artificielle. Imaginez des taxis volant·e·s et des jardins planté·e·s en plein désert. Il s’agit d’un·e projet novateur·trice pour une métropole verticale autonome, indépendante du gouvernement saoudien, destiné·e à voir le jour. C’est une ville hors du commun qui devrait sortir de terre, structurée en trois niveaux. Un sous-sol dédié aux transports en commun, un niveau intermédiaire réservé aux infrastructures, et un niveau supérieur réservé aux résident·e·s.
Pour concevoir cette ville du futur, les ingénieur·e·s du monde entier recruté·e·s par les Saoudien·ne·s sont parti·e·s du principe que la proximité des commerces, des logements, des bureaux, des écoles et des lieux de vie réduit significativement la nécessité d’effectuer des trajets longs.
Dans cette ville-immeuble, les résident·e·s auront accès à tout ce dont iels ont besoin en moins de cinq minutes. Pas de panique, les déplacements les plus importants seront assuré·e·s par un TGV reliant la ville de bout en bout, le tout en moins de vingt minutes. The Line est en fait une réinterprétation de « la ville du quart d’heure », un concept urbanistique qui vise à créer des environnements urbains compacts et accessibles. Ce concept a été popularisé par la maire de Paris, Anne Hidalgo, dans le cadre de ses efforts pour repenser la ville et réduire la dépendance à la voiture. Les habitant·e·s peuvent trouver la plupart des services essentiels à proximité de leur domicile, favorisant ainsi la mobilité durable et la réduction de l’usage de la voiture.
Cependant, dans le cas de The Line, ce concept est poussé·e encore plus loin en proposant un accès ultra-rapide aux déplacements interurbains grâce au TGV. Ce qui rend la ville encore plus connecté·e et accessible pour ses habitant·e·s, tout en offrant une expérience de vie urbaine innovante. Ce projet pharaonique, porteur·euse de nombreuses promesses, a prévu d’être achevé·e d’ici 2030, accueillant initialement près d’un million d’habitants. À long terme, The Line aura une capacité d’accueil de neuf millions de personnes d’ici 2045.
Des conséquences environnementales majeures
Si The Line est présentée comme une ville neutre en carbone, alimentée exclusivement par des énergies renouvelables telles que le vent et le soleil, sa construction interroge les scientifiques du monde entier. L’emplacement isolé du projet, entre le désert saoudien et le canal de Suez, implique l’utilisation d’énergies fossiles pour acheminer matériaux, métaux, bétons et verre.
L’ampleur des chantiers en cours et des activités prévues impactera la faune et la flore de la région. Les routes migratoires des espèces locales risquent d’être obstruées par cette muraille de verre, perturbant les modes de vie de milliers d’animaux. De surcroît, 20 000 membres de la tribu Howeitat, enracinée dans la région de Tabuk depuis des siècles, sont contraints de quitter leurs terres pour permettre la réalisation de The Line. Cette décision a par ailleurs entraîné la condamnation à mort de trois opposants au régime saoudien.
En outre, le projet The Line fait partie d’un vaste programme de construction mené par la société Neom : la construction d’une station de ski Trojena qui accueillera les Jeux Olympiques d’hiver en 2029, la création d’un aéroport, d’un port d’import-export flottant sur les bords de la mer Rouge, et d’une île artificielle baptisée Sindalah. Autant de projets qui promettent de transformer le paysage de cette région reculée, loin des foyers de populations denses.
Avec un tel projet, l’objectif de Mohammed Ben Salmane est clair : permettre à l’Arabie Saoudite de diversifier son économie en vue de réduire sa dépendance au pétrole. Accusé de Greenwashing, Mohammed Ben Salmane n’est pas réputé pour être un fervent défenseur de l’écologie. Quelques mois après l’annonce du projet Neom, il a déclaré que l’Arabie Saoudite augmenterait sa production de pétrole durant les cinq prochaines années.
Nombreux sont les observateurs qui qualifient de « non-sens » le fait de financer un projet éco-friendly avec les revenus générés par l’extraction de pétrole.
En outre, de nombreuses questions restent en suspens. À commencer par la gestion des déchets. Si la ville zéro émission peut exister sur le papier, la ville zéro déchet n’existe pas, pas même sur papier. Et face à cette problématique de gestion des déchets, les Saoudiens et les chercheurs engagés sur ce projet restent sans voix. Même chose pour l’approvisionnement en eau potable. L’Arabie Saoudite est un pays aride. La majeure partie de l’eau potable est obtenue via des usines de dessalement, connues pour leur forte consommation d’énergies fossiles et leur rejet de polluants dans la mer.
Future rivale de Miami
Largement financé par le fonds souverain d’Arabie Saoudite et les revenus de la société pétrolière Aramco, les Saoudiens ont débloqué 319 milliards d’euros afin de financer la première phase du projet prévue pour 2030. Les dirigeants saoudiens s’activent en coulisses afin de trouver des fonds supplémentaires pour financer ce projet difficilement chiffrable. Estimée à 1 000 milliards de dollars, la note promet d’être salée. Les dirigeants saoudiens se sont lancés dans une quête d’investisseurs privés et compte sur l’entrée en bourse de Neom en 2024.
Avec une capacité d’accueil de 9 millions d’habitants en 2050, The Line pourrait héberger 1/4 de la population d’Arabie Saoudite. Mais la réalité est différente, cette ville est en réalité destinée à une population internationale aisée. C’est en tout cas la volonté de Mohammed Ben Salmane qui a déclaré à l’annonce du projet : « Neom rivalisera avec Miami en matière de divertissement, de culture, de sport et de shopping ». La construction de The Line s’accompagne d’ailleurs de la création d’un aéroport international.
Les ouvriers ont du pain sur la planche. Les travaux d’excavation et de terrassement, débutés en 2021, ont permis jusqu’alors de dessiner le tracé de The Line comme le montre cette image capturée par un satellite chinois. Des villes ont aussi été construites afin d’accueillir les ouvriers. Ces villes seront rasées à l’issue des travaux en raison de leur emplacement sur le tracé direct de The Line, qui n’est plus un simple fantasme mais une réalité en développement.
Pour concevoir cette ville du futur, les ingénieur·e·s du monde entier recruté·e·s par les Saoudien·ne·s sont parti·e·s du principe que la proximité des commerces, des logements, des bureaux, des écoles et des lieux de vie réduit significativement la nécessité d’effectuer des trajets longs.