Par Bérénice Zaphini
Laurent Ballesta est un explorateur des mers comme on en fait plus, digne des romans d’aventure qui nourrissent les rêves et l’imagination. A cinquante ans, il est devenu la figure emblématique de la photographie sous-marine et de l’exploration biologique de ces fonds. Biberonné aux documentaires du commandant Cousteau, il poursuit aujourd’hui ce rêve d’enfant, motivé par le défi technique de plonger toujours plus loin, toujours plus longtemps, à la découverte d’univers abyssaux et mystérieux. De cette passion est née l’envie irrépressible de partager ce qu’il voit et ressent au contact d’un monde proche de la science-fiction, nous livrant des images inédites d’espèces encore jamais observées.
« La nature n’est pas fragile, nous le sommes » : des zones menacées et des renouvellements localisés
Plongeur depuis ses treize ans, le Montpelliérain est aujourd’hui un des rares observateurs réguliers de ces paysages naturels si singuliers. Pourtant, il se montre prudent au sujet d’une évolution visible et mesurable sous l’effet des bouleversements climatiques et des activités humaines. « Pour parler d’évolution de paysage, il faut avoir du recul dessus, l’avoir vu sur des décennies régulièrement et pas juste une fois, il y a dix ans, une autre fois hier, ou même avec quarante ans d’écart, mais deux fois. Imaginez un extraterrestre qui arrive à l’automne et qui revient quarante ans plus tard, en hiver ou en été, ça ne veut rien dire de comparer comme ça. ». Il témoigne avant tout d’adaptations et de mutations surprenantes de la biodiversité sous-marine dans sa région natale : « autour de la petite Camargue, le golfe du Lion, les contreforts des Cévennes autour de Montpellier ».
Aux abords du bassin de Thau, s’organise un « jardin botanique » en perpétuelle mutation
Au contact de ce haut lieu de l’ostréiculture, riche d’une biodiversité atypique, l’émerveillement du plongeur ne cesse de se renouveler : « en particulier l’hiver quand l’eau est froide et claire, c’est une explosion de formes et de couleurs qui évoluent en permanence ». Des espèces autrefois absentes, comme les grandes nacres ou certaines limaces de mer, apparaissent et disparaissent sous l’effet des activités humaines, notamment des mouvements ostréicoles : « On infiltre des huîtres venues d’ailleurs qui charrient avec elles des espèces exogènes ». Si en 2016 un parasite meurtrier décime presque totalement les grandes nacres de la Méditerranée, elles survivent dans le bassin qui les a préservées.
Le sanctuaire Cerbère-Banyuls : une leçon d’humilité et de préservation
Cette réserve sous-marine est « un joyau absolu » situé au cœur de la Méditerranée, dans les Pyrénées-Orientales. Laurent Ballesta la connaît bien puisqu’il y plonge depuis l’enfance avec une fascination renouvelée. C’est d’ailleurs ici qu’il découvre le gobie d’andromède, poisson nocturne qui donnera son nom à sa société, « Andromède Océanologie ». Depuis 1983, cette réserve de 650 hectares a pour particularité d’abriter une zone de protection renforcée sur 10% de sa surface. Une réserve intégrale où aucun baigneur, plongeur, bâteau ou pêcheur n’est toléré. Résultat : plus de 124 espèces de poissons s’épanouissent dans ce sanctuaire, peuplé de mollusques et de crustacés abrités par les herbiers de posidonie qui y prolifèrent. Les impacts sont inouïs : grâce à « l’effet de débordement », cette biodiversité exceptionnelle s’est étendue au reste de la réserve où les activités humaines sont autorisées mais encadrées. Cela s’explique par le bien-être de la faune et la flore dans cette zone, qui s’étendent par saturation, entraînant leur prolifération naturelle dans les zones adjacentes. Un enseignement qui met en lumière la possibilité de rétablir l’équilibre écologique des océans et invite à l’action comme le résume l’explorateur : « Si on parvenait à mettre en réserve intégrale environ 30% du littoral mondial – même de manière morcelée -, cela suffirait à ré-ensemencer les 70% restants, exploitables d’une manière durable. Bien sûr, à condition de bannir la pêche industrielle massive et le chalutage. ». Un constat prudent, qui laisse une place à l’optimisme face au péril écologique.
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